Passations des marchés publics- Sur fond de scandale financier et de grave danger pour les entrepreneurs guinéens…

Tous ceux qui croyaient, candidement peut-être, que l’avènement au pouvoir du Pr. Alpha Condé, considéré à juste titre comme  »l’homme du changement », allait rapidement mettre fin aux pratiques prédatrices, voire mafieuses, c’est la désillusion. Lorsque, surtout, c’est le locataire même du palais Sékhoutouréya qui affirme dans une récente interview accordée à ‘’Jeune Afrique’’ que « les partisans du changement sont encore minoritaires en Guinée ». Cette résistance au « changement » semble hélas se manifester aujourd’hui dans le monde de passations des marchés publics, avec des relents de corruption, dessous de table et autres passe-droits. Lisez plutôt …
Pendant de nombreuses années, surtout sous le règne de la Deuxième République et des militaires du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), les pratiques de corruption s’étaient presque institutionnalisées en Guinée. C’est à juste titre d’ailleurs que dans le classement des pays les plus corrompus au monde, la Guinée occupait le plus souvent la profondeur du classement, pour ne pas dire une place des plus déshonorantes du point de vue de la réputation.
Il est vrai que beaucoup d’eau a coulé sous le pont depuis. Il y a notamment eu des avancées notables en matière de démocratie, de respect des libertés publiques et des droits de l’Homme.
Le pays s’est par ailleurs engagé dans la voie de plusieurs reformes, surtout dans les secteurs stratégiques et névralgiques de l’Economie, sous la clairvoyance du président démocratiquement élu au terme du scrutin présidentiel de novembre 2010. Parmi ces secteurs, il y a certes le monde minier, mais aussi et surtout le monde des passations des marchés publics.
Le nouveau régime guinéen s’est peut-être cru tiré d’affaire en mettant en place un certain nombre de mécanismes visant à sauvegarder les deniers publics. Et c’est bien dans ce sens qu’un guichet unique a été mis en place, avec à la clé des mesures de contrôle plus ou moins strictes.
Qu’à cela ne tienne, côté résultat, il ne fallait surtout pas commettre l’erreur de trop tôt crier victoire. Pour preuve, en voici une affaire, du moins une ‘’vieille’’ pratique quasiment remise au goût de l’actualité, qui semble transpirer un scandale de corruption, avec tout ce qu’il pourrait avoir autour d’actes insensés, pots de vin, violation flagrante des textes ou principes préétablis. Venons-en aux faits. Des plus délirants en somme, et qui ne sont pas sans présenter de gravité pour l’immaculée image que voudrait donner le Pr. Alpha Condé à son pays, la Guinée.
Si l’adage dit bien que « charité bien ordonnée commence par soi-même », force est de constater qu’au niveau de ce monde des passations de marchés aux Travaux Publics, ce n’est pas forcement le cas. Pour rappel, notre confrère  »Guinéenews », un site internet bien connu de la place, faisait référence dans une de ses nombreuses publications à un courrier daté du 19 février 2013, dont une copie nous est fortuitement tombée dans les mains, adressé par le Groupement des Entreprises Routières de Guinée (GERG) au ministre d’État chargé des Travaux Publics et des Transports, Bah Ousmane.
Dans ledit courrier, ce groupement s’élevait vivement contre la manière dont on procédait dans l’octroi des marchés publics financés par le Budget National de Développement (BND) à certaines entreprises étrangères. Entre autres extraits poignants de ce qui aurait dû être une alerte pour le ministre Bah Ousmane des TP, on pourrait retenir ceci : « Excellence Monsieur le Ministre d’Etat, au regard du déroulement des passations de marchés effectués actuellement par vos services déconcentrés, dont les procédures sont contraires à celle du Code des Marchés Publics, le Groupement des Entreprises Routières de Guinée (GERG) voit ses objectifs menacés à tout point de vue. En effet, le Code des Marchés Publics stipule que les entreprises nationales ont un taux de préférence à compétence égale avec les entreprises étrangères sur les financements BND et doivent bénéficier de 30% de sous-traitance sur les marchés FINEX. Ce point du Code doit figurer dans les Dossiers d’Appel d’Offre. A ce jour, nos intérêts sont sérieusement menacés avec violation de tous nos droits en matière de passation des marchés. Malheureusement, cet état de fait est organisé et entretenu par certains cadres de votre département qui vont jusqu’à organiser des consultations restreintes en n’invitant que des entreprises étrangères. Les arguments prônés par eux pour soutenir leurs thèses sont les capacités financières et celles-ci pour préfinancer les travaux. Ce qui s’avère faux au regard des avances de démarrage régulièrement payées à ces dites entreprises. Plus grave, ces entreprises transgressent les principes élémentaires du Code des marchés publics en finançant elles-mêmes les études techniques et financières en lieu et place du Maître d’Ouvrage. Ce qui a pour conséquence directe la surfacturation des coûts de réalisation desdits travaux au détriment de la Nation. Aujourd’hui, la Guinée est le seul pays à ne pas produire de vraies entreprises capables de compétir avec les entreprises étrangères. En Afrique de l’Ouest par exemple au Burkina évoluent les entreprises Kanajoé et Ebomaf ; au Sénégal, les entreprises CSE, SOTRACOM, CDE ; au Mali les entreprises locales tiennent également la tête aux entreprises étrangères. Il existe en Côte d’Ivoire les entreprises Soupalo, Saner, TTR etc. Ces entreprises ont grandi grâce aux soutiens de leurs Gouvernements respectifs. Très malheureusement, les entreprises guinéennes n’ont pas eu de soutiens appropriés par l’administration. Par contre, c’est la méfiance qui s’installe entre nos entreprises et les services des Travaux Publics… ».
L’une des parties les plus poignantes du Courrier de février 2013 est certainement ce qui suit, et qui aurait dû décider le ministre des TP à prévenir au lieu de guérir : « Un exemple de cette méfiance est que des dossiers de consultation restreinte sont en cours d’élaboration par la Direction Nationale des Infrastructures de votre département. Pour des compétences équivalentes, nos entreprises guinéennes ne sont pas consultées pour les projets financés à 100% par le BND à l’avantage des entreprises étrangères (ENCO5, HENAN Chine; OAS, CSE, ZAGOPE, ANDRADE; CGC, CDE et autres ».
De quoi retourne en fait ce qui a l’air d’un refus obstiné et dont certains responsables haut-placés des TP, tel le ministre, ne savent peut-être pas de quoi il retourne ?
Un petit saut dans l’inconnu permet tout simplement de savoir que ce qui se dissimule aujourd’hui sous le vocable de « consultation restreinte » n’est que la réplique du « marché de gré à gré » farouchement combattu par les organismes financiers internationaux œuvrant dans la lutte contre les pratiques prédatrices. La Guinée, à l’instar de beaucoup d’autres pays, a dû rapidement revoir ses copies. « Chassez cependant le naturel, il revient toujours au galop », dit un autre adage.
Qui eût imaginé que certains pouvaient se permettre de remettre au goût du jour la pratique largement décriée du « gré à gré » du temps de « l’homme du changement » ? Les faits sont bel et bien là, sans fioritures ni faux-fuyants.
Après la reculade rendue nécessaire par les reformes suscitées par la Troisième République, selon nos investigations, une place nette fut faite aux « consultations restreintes ». Toute chose constatable à travers de nombreux marchés routiers signés sous cette emprise.

Qu’il s’agisse, à titre d’exemples concrets, des tronçons Matoto – Dapomba ; Boffa – Kolabounyi ; Km36 – Coyah ; Dapomba – Km36 ; Km36 – Coyah ; Mamou – Dabola ou le Projet de la voirie de la capitale.
Il s’agit de l’engagement le plus souvent de plusieurs centaines de milliards de nos francs dans des circonstances opaques. Puisque selon des sources dignes de foi, en plus d’être totalement financé sur les fonds du BND, aucun n’a connu d’études.
Que les choses soient suffisamment claires, il ne s’agit pas de xénophobie, donc pas de mener la chasse à aucune entreprise étrangère. Rappelons au passage que le président américain Barack Obama invitait récemment les autorités sud-africaines à privilégier les entreprises locales dans le processus d’épanouissement de leur vaste pays. Inutile de dire que cela présente assurément pas mal d’avantages, dont la non fuite des capitaux. Encore que du point de vue de la performance, sans montrer du doigt une entreprise étrangère quelconque, sur le terrain ils sont nombreux les professionnels routiers qui trouvent à redire par rapport à la qualité des travaux réalisés.
« Pauvre Guinée ! Rien pour les siens, tout pour l’autre », semble-t-on finalement dire. Autrement dit, pendant que les entrepreneurs locaux attendaient d’être établis dans leurs justes droits après leur appel à la détresse, à défaut d’être conséquemment appuyés, voici que semble surgir une bien vilaine affaire de passation de marché pas du tout catholique, encore sous le label de la « consultation restreinte », et qui fait beaucoup de bruit dans le monde des entrepreneurs guinéens. Cette passation concerne le tronçon Mamou – Faranah.
Sans en mesurer visiblement toute la portée, pour ne pas dire les tenants et aboutissants, le ministre des TP, Bah Ousmane, vient d’adresser une missive à l’Administrateur Général des Grands Travaux, dont nous détenons une copie. Dans laquelle, il milite pour l’octroi de ce marché à une entreprise étrangère. Quoiqu’au demeurant, celle-ci s’est mise hors-jeu en n’ayant convenablement pas fait face à la question de la caution. Pour ce manquement  »grave », bien sûr qu’elle était d’office disqualifiée selon le cercle des initiés. Au lieu de cela, on voudrait à la limite procéder à un passage en force. Au motif que le temps presse et que la commémoration de l’An 55 de l’indépendance guinéenne à N’Zérékoré n’est pas bien loin. Comme pour dire qu’il faut fermer les yeux sur ce qui a tout l’air d’un tournant suffisamment dangereux pour les entrepreneurs guinéens, dont certains ont consenti de nombreux financements pour être à la hauteur de certaines entreprises étrangères. He oui quand on veut abattre son chien, il est très facile de l’accuser de rage.
Dans sa lettre, le ministre Bah Ousmane prétend bien connaître l’entreprise CGC à laquelle il voudrait que le marché soit attribué. Sur quelle base exacte ? Allez savoir. Si tout au moins il s’était fait le devoir de prêter des oreilles attentives au courrier du GERG, il aurait compris qu’autour de lui se passent des choses pas du tout raisonnables, par la faute de certains de ses collaborateurs qui ne sont sans doute pas dévoués pour rien à tous les coups. Il reste que c’est au Pr. Alpha Condé de défendre son bilan en fin de compte. Il devra naturellement veiller à ce que les fonds du contribuable guinéens profitent en premier aux guinéens.
Bien sûr que nous reviendrons sur cette affaire, qui en cache bien d’autres en matière de passations de marchés de « gré à gré », pardon, sur la base des fameuses « consultations restreintes », tolérées par le Ministère des Finances, sans que celui-ci ne se soucie le moins du monde des nombreux travers constatés. Certes, dans une réplique datée du 13 février 2013 à la correspondance du ministre d’Etat, Bah Ousmane, Kerfalla Yansané se voulait on ne peut très clair. « Au regard des motivations invoquées dans la lettre, notamment la spécificité et les impératifs de délai liés à l’exécution desdits travaux, je vous autorise à titre exceptionnel à recourir à la procédure dérogatoire de la consultation sur liste restreinte pour la passation des marchés, conformément aux dispositions de l’article 21 alinéa 1 du Code des Marchés Publics. Vos services techniques concernés pourront prendre attache auprès de la Direction Nationale des Marchés Publics pour définir les modalités pratiques de ladite consultation… ».
Cette réponse, bien entendu, appelle assez d’observations et de questions de notre part, sur lesquelles nous reviendrons plus largement. Parce qu’on ne sait pas si les services techniques des TP ont effectivement approché la Direction Nationale des Marchés Publics. Dans tous les cas, ce qui aurait dû être une exception est, semble-t-il, devenu une vilaine habitude. Nous y reviendrons donc…

Lanciné Dramé mediaguinee/Partenaire de www.actuconakry.net

Laisser un commentaire

Démarrer le chat
Actuguinee.org
Avez - vous une information à partager?
Besoin d'un renseignement?
Contacter Actuguinee.org sur WhatsApp