http://Actuguinee.org / Nul ne saurait, dans un article, retracer l’histoire d’un homme qui a vécu cent ans même si sa carrière ne ressemblait pas à celle d’El Hadj Biro. Je me donne juste le devoir de dire un mot, de témoigner de l’intérieur, sur qui est Boubacar Biro Diallo.
Ascendance
Boubacar Biro, qu’on appelait dans son enfance, Mody Biro, est l’un des fils de Alpha Mamadou Bhoye (Alphammadou Bhoye par contraction). Il est né vers 1921 à Kourou, sous-préfecture de Gongoré-Mamou. D’y être né, valut au patriarche décédé ce samedi 8 février 2025, son deuxième surnom, Mody Biro Kourou.
El hadj Biro est un descendant de Karamoko Alpha Mo Gongoré ; de la Branche (Mussidal) des Dialloyabhé ; de la case (Suudu) des Alpha Amadouya. C’est son grand-père qui a transformé Kourou, qui était un lieu de pâturage, en village.
Le père de Monsieur Biro, un autre titre qu’il porte en tant qu’instituteur, est un chef de village. Il scolarisa bon nombre parmi ses quarante-six (46) enfants, même si beaucoup d’entre-eux décrochèrent.
Alpha Mamadou Bhoye, Alpha Saliou Porédaka, Alpha Aliou Gongoré (actuellement orthographié Gongoret) et Alpha Mamadou Bobo Bodié (Dalaba) sont parmi les chefs coutumiers ou notables, qui ont inscrit beaucoup de leurs enfants à l’école coloniale. Une institution qui intriguait et faisait peur à l’époque.
Mody Biro, fils de chef ou de notable, fréquente l’École de Timbo, alors Ecole de village, fondée en 1902 et qui était sise à Kouroula. Il y serait entré en 1932 et intégra plus tard l’Ecole Régionale de Mamou. Puis, l’Ecole Primaire Supérieure Camille Guy de Conakry et l’Ecole Normale William Ponty de Dakar.
Une longue carrière d’enseignant
On ne saurait que résumer le parcours professionnel de Monsieur Biro. Jeune instituteur sorti de W. Ponty, il entame une très longue carrière à travers la Guinée Française. Des générations entières de cadres guinéens l’ont eu comme maître.
Il fut enseignant, Directeur, Inspecteur de l’enseignement. Sa rigueur et sa probité morale lui valurent le surnom de « Néné Biro Diara » (Maman chérie) quand il était Directeur Régional. Il a été également enseignant à Kankan avant de devenir plus tard le Directeur de l’Ecole normale supérieure de Dabadou ( Dabadougou) également appelée « École Bordo de Kankan ».
Une carrière politique incomparable
Monsieur Biro est entré en politique très tôt. Il adhère au PDG-RDA en 1948. C’est à niveau qu’intervient mon témoignage qui m’émeut aujourd’hui plus que tout. Au décès de mon père, El Hadj Biro, président de l’Assemblée nationale, est venu, en 2007, dans un cadre familial à Paris. Apprenant cela, je téléphone à son fils, Alpha Amadou, pour lui dire que je venais dimanche pour adresser à son père mes condoléances, suite au décès du mien. Il transmet la commission. Comme réponse, El Hadj Biro lui dit de me dire de patienter.
C’était, je m’en souviens, un samedi et le dimanche matin, vers 9h, je reçois un coup de fil. Alpha Amadou me dit : « Lamarana, on vient chez toi avec Papa ». Imaginez-vous ma surprise. Je contacte autant de Guinéens et d’Africains que je connaisse. A la hauteur de la personnalité, tout Orléans s’est passé le message et, à leur arrivée, en début d’après-midi, mon domicile était plein comme un nid d’oiseaux. Je vous passe les détails.
Dans son intervention, El Hadj Biro dit à l’assistance : « Vous devez sûrement vous demander ce qui fait que, moi je vienne, chez ce jeune homme au lieu qu’il aille me trouver. Je vais vous dire, tout ce que j’ai eu dans mon parcours politique, c’est grâce à son père. Qui est mon oncle. ». Il ajoute : « C’est lui qui, alors que j’étais jeune instituteur nouvellement de retour du Sénégal, m’a dit, Biro, vient, on va aller au RDA ». Je lui dis : « Eh, bappa (oncle), comment toi, chef de village (sous-entendu, installé par le colon) peux-tu aller au PDG-RDA » ? Il me répondit : Ga’i futa dhin fottali. Mi natata ka dhi kibbhi dhon ». Sabu goddhi holli nganyanee ndi è mawnintinnarè ». Littéralement : « Les taureaux du Fouta sont en train de s’en corner. Je n’entre pas entre eux du fait que certains ont fait preuve d’égoïsme et d’orgueil».
Cela me lie, plus que les liens de parenté à cet homme. Au-delà de son déplacement, c’est la reconnaissance à l’égard de mon père qui me revient à chaque fois que je pense à ce grand homme. Imaginez-vous qu’il était Président de l’Assemblée nationale. Qui, de nos hommes politiques actuels, feraient preuve d’une telle humilité ? Bien au contraire, ils sont nombreux dont la suffisance et l’ingratitude constituent l’ADN.
Un homme qui doit inspirer les générations actuelles et futures
Souvent en avance sur son temps, EL Hadj Biro a été parfois incompris. Il a fait l’objet de diatribes les plus ignobles. Un de mes articles : « Laissez El Hadj Biro tranquille », octobre 2009, relève les combats de l’homme et l’honneur dont la Guinée lui doit.
Compagnon de l’indépendance, fondateur du Parti de l’unité et du progrès (PUP), président de l’Assemblée nationale, centenaire, El Hadj Biro a eu une vie remplie. Son intégrité, sa fidélité à la ligne politique, à Sékou Touré sont une leçon de vie. Ce dernier aurait dit : « Je peux dire que toute la Guinée m’a menti sauf Biro Diallo ».
Monsieur (Moussè) Biro a vécu comme un Saint car, en plus de tous les titres évoqués, il est aussi Alpha Boubacar Biro, en ayant enfilé le Turban du Tafsir Al Ghur’ An il Karim et la Couronne du Hajj. A cela, il faudrait bien sûr ajouter la médaille de Compagnon de l’Indépendances et une infinité d’hommages et de médailles qui lui ont été décernées à travers le monde.*
Mon appel et mon plaidoyer
Aux ressortissants de Gongoret
Mon appel, en dépit du fait qu’il s’agit d’une personnalité nationale et internationale, est avant tout familial. Au-delà de sa famille, il s’adresse à tous les ressortissants de Gongoré.
Souvenons-nous, et que les plus jeunes sachent que nous avons eu le premier Commandant noir de l’ère coloniale de l’Afrique Occidentale Française : Monsieur Mamadou Pathé. Puis, El hadj Alarény, l’un des plus grands entrepreneurs de la Guinée indépendante ; des hauts cadres : Koto Karamoko Nourouko, Commandant Lamarana de la Société navale guinéenne, Major Waouassou, Général M’Bemba, El Hadj Tidia Petty, Thierno Diouldé Moukkè, Alpha Ibrahima Kourou, et actuellement Alpha Amadou Kourou (SCF) , Colonel Diackwann et tous ceux qui, nombreux, n’ont pas été évoqués.
Le travail de ceux-là doit être continué et l’œuvre qu’ils n’ont pas pu réaliser doit être achevée. Je voudrais dire en termes de cohésion, d’entente, de concorde et de développement local. Ces aînés doivent être nos guides et nous devons les dépasser en tout ce qu’ils auront fait de bien en enracinant nos enfants au village.
Aux autorités et à la nation
J’en appelle aux autorités actuelles de donner à El hadj Biro la place qu’il mérite au sein de la nation pour son combat pour l’indépendance et la République. Il faudrait qu’on fasse à ce que toutes les personnalités, quels que soient leurs acquis, combats, erreurs personnelles ou historiques, soient inscrites dans notre histoire. Dans notre mémoire collective.
Un pays étant fait d’heurs et de malheurs, d’acquis et de failles, l’Etat doit pardonner et réhabiliter afin que les blessures, inhérentes à l’histoire de tout pays, servent de levain pour un futur radieux.
Mes condoléances à la nation guinéenne, aux proches et aux enfants pour ceux qu’ils appelaient affectueusement « Papa ».
Paix à l’âme d’El Hadj Biro. Amen.
Lamarana-Petty Diallo lamaranapetty@yahoo.fr