Hymne à la division et à l’égoïsme.

L’exploration déroutante des maux de la  Guinée se poursuit. Exemple parmi tant d’autres est l’essai de Dr. Bakary Diakité. Le court article énumère des facteurs psychosociologiques avec un enchainement logique  pour identifier des causes de la faillite de la Guinée. Le mal est présenté comme suit: le «lot quotidien de notre pays s’appelle désormais souffrance». De l’avis de l’auteur, cette souffrance est imputable à l’ignorance. L’ignorance dont tout découlerait engendre une désaffection de nous-mêmes, de l’égoïsme et enfin la division sociale. Cette division elle-même est enceinte de conflits qui menacent la paix en Guinée. Dans cet  enchainement, il n’y a aucune mention des manquements à la justice, du droit des citoyens, du droit de sanction des régnants par des votes, du devoir de punition des coupables et des mesures de contrôles pour enrayer la corruption du pouvoir et juger de ses crimes. A en croire l’analyse, le foutoir guinéen fonctionne dans des catégories purement affectives, morales et psychologiques dont on ne donne aucune définition pertinente.

L’ignorance dont il est question est-elle celle de l’élite, des citoyens qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, d’étudier le coran? Il serait judicieux d’expliquer comment elle dégénère en  désaffection  de nous-mêmes, quels sont ses symptômes et comment elle débouche sur l’égoïsme. Enfin, il faudrait expliquer comment cet égoïsme guinéen engendre  la division sociale. Il y a lieu, si on impute à l’égoïsme tous les torts  de la nation, de l’articuler avec nos traditions de solidarité, les liens au sein des familles, des couples, des villages, des écoles etc.

Vaste et presque futile effort que de vouloir gérer l’égoïsme de l’homme! Les idéologies qui se sont données pour tâches de changer ces catégories psychosociologiques, au lieu d’admettre que le conflit est inhérent à toute cité humaine et de mettre en place des garde-fous pour les gérer, proclamèrent œuvrer à la création d’une espèce humaine altruiste. Tel fut le cas du communisme et de sa forme abâtardie, tropicalisée et sous-développée en Guinée, avec l’absurdité de l’Homme Nouveau. Fondé sur des postulats douteux, l’entreprise n’était rien d’autre qu’une duperie pour justifier et masquer des crimes innombrables qu’on compte encore. Quand l’environnement social est saturé d’incertitudes du fait du manque de règles, comme c’est le cas en Guinée, l’égoïsme peut  s’exacerber comme  moteur de survie. En ce sens il n’est qu’un comportement de réponse à une situation spécifique. L’égoïsme dont les guinéens sont ici accusés (à supposer que son ampleur soit vérifiée) est un pur sous-produit du manque de règles et de lois – ou de leur violation systématique – qu’une cause première. En faire la raison de la faillite nationale est un saut intellectuel impossible à soutenir. Mieux et plus dangereusement, le raisonnement habille les vrais enjeux de la nation de chamarrures psychologiques qui absolvent les criminels. Il est impossible de donner à ce raisonnement basé sur une psychologie non prouvée, une valeur opératoire et de le traduire en programme politique ou social.

Quant à la division qui est conjurée dans l’écrit, elle est plutôt à saluer, à accentuer, à organiser et à renforcer.  L’essence des dictatures est de nier les  divisions sociales, de couvrir le désordre que cette négation crée et de blâmer des boucs-émissaires pour se perpétuer. L’essence de la démocratie c’est l’acceptation des divisions avec des perpétuels tiraillements et des disputes.  Au bout du compte d’ériger un système de supervision et de gestion des divisions qui doit permettre de créer des contre-pouvoirs, des institutions parallèles disputant la primauté de l’état et des moyens  de contrôle pour les citoyens. L’histoire montre que l’on y  arrive de façon négative, à la suite d’âpres luttes et des tensions exacerbées  à l’extrême. Les intellectuels guinéens refusent de lire cette leçon pour se dorloter dans le phantasme de la fraternité, des hymnes à  la tolérance, de la paix à tout prix et du changement sans prix. D’où l’état du pays. D’où aussi l’agitation du spectre de la division comme source de conflits ou raison du retard du pays par les tenants du pouvoir et les opposants.

A l’examen, les guinéens ont toujours été  unis. Hélas, les unions dans lesquelles ils fonctionnent sont des entités empoisonnées par une violation au quotidien des lois écrites et des traditions. La mélopée  de l’union  et de la paix avec  l’épouvantail  du chaos imminent  sont le fonds de commerce des gouvernants guinéens.  C’est sous la houlette de l’union  et de la paix  que des groupes fascistes (familiaux, ethniques, affairistes, militaires etc.) ont ruiné la Guinée et l’ont menée à sa faillite actuelle : par la répression des dissensions dans le sang, le gommage des diversités régionales au profit de partis-états et de gouvernements de gangsters, l’abêtissement culturel par l’embrigadement dans un système scolaire débilitant, l’uniformisation des pensées et des discours dans la rengaine d’une révolution cruelle et le nivellement par le bas par l’exaltation des médiocres au nom d’un changement incantatoire. On serait bien avisé d’en finir avec les prières de préservation de cette paix de criminels et cette union sans justice. L’absence de la justice constitue l’échec de l’accouchement de la nation Guinée. Il faut refuser lucidement de dissimuler la faillite dans  le prêchi-prêcha de la «réconciliation nationale», de «la Guinée est une famille » et du «tout le monde est coupable et tout le monde est innocent en même temps».  A ceux qui ont pris sur eux la prétention  d’explorer le fatras de cette faillite par des écrits, il s’impose un minimum de décence morale et d’humilité intellectuelle.

La décence morale consiste à ne jamais perdre de vue – avant de défendre une quelconque opinion, dans le confort de nos salons et derrière le clavier – la mémoire des victimes innombrables qui hanteront la nation pour toujours: celles qui reposent dans des fosses communes, celles qui s’accusèrent de crimes monstrueux sous la torture, celles vivant avec les traumas du viol, des blessures, celles dont on a démoli les demeures, celles des familles qui vivent sous l’ombre des disparus et le rêve de la justice. Avant d’entonner l’hymne de la tolérance il faut se souvenir que des criminels de tout acabit se promènent en liberté; il importe d’avoir une pensée pour les citoyens innocents que les budgétivores affament et privent d’éducation ainsi que de soins  médicaux.

L’humilité intellectuelle consiste à admettre qu’on ne découvre rien d’ésotérique, de secret ou de mystérieux qui expliquerait la faillite de la nation. Quelle que soit l’éloquence de nos écrits. On véhicule tout simplement les constats douloureux que le premier quidam guinéen connait par cœur. Il connait  la structure des mafias qui sévissent en Guinée et sait bien qualifier ce dont il souffre. Les analyses et les discours  n’ont de sens  que si elles peuvent contribuer aux  combats que les élites guinéennes doivent livrer pour  balayer la chienlit responsable de la faillite et qui se succède inexorablement au pouvoir. Libre à chacun de  participer à la préparation de ces combats et ou de refuser le minimum de dénoncer les gouvernants et les sbires qui gangrènent le pays. Mais – de grâce – qu’on nous épargne du charabia psychosociologique ou des psychothérapies sur lesquelles une emprise réelle est impossible.

Ourouro Bah

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