Attentat de Sousse: « Les Tunisiens n’en peuvent plus »

Au lendemain de l’attentat qui a fait 38 morts à Sousse, l’écrivain tunisien Aymen Hacen insiste sur la nécessité pour le pays de lutter contre le terrorisme, en faisant voter de « vraies lois ».

Né en 1981 à Hammam-Sousse, où a eu lieu l’attentat du 26 juin, Aymen Hacen, agrégé de lettres, poète, romancier, essayiste, traducteur, chroniqueur littéraire et enseignant, a publié cet hiver L’Art tunisien de la guerre (KA’ Éditions). Depuis Hammamet où il réside, il confie ses premières réactions après l’attentat sanglant qui a fait 38 morts dans deux hôtels de Sousse.

« Lorsque j’ai appris la terrible nouvelle, j’étais dans un taxi collectif avec neuf autres personnes qui faisaient le ramadan comme moi: toutes ont unanimement condamné l’attentat. Les Tunisiens n’en peuvent plus. Je connais bien l’endroit, El Kantaoui – du nom d’un marabout de Hammam-Sousse -, et cet hôtel de luxe où séjournent de nombreux étrangers, anglais et allemands notamment. La zone est sécurisée mais la plage publique, ce qui a permis au tueur d’arriver par là.

« Ne surtout pas céder à la terreur »
Ma première réaction est de dire, à froid: il ne faut pas verser dans l’émotion, ne surtout pas céder à la terreur. Elle peut frapper n’importe où, à tout moment. Il faut voter de vraies lois contre le terrorisme, démanteler les réseaux qui sont bien connus, à commencer par l’interdiction du parti salafiste Hizb Ettahrir, permettre à la police de faire son travail. On compte près de trois mille djihadistes tunisiens en Syrie dans les rangs de Daech ! L’auteur de l’attentat peut être l’un d’eux, un loup solitaire de retour de Syrie. Ou bien il peut être issu du groupe qui a perpétré la tuerie de soldats en Tunisie, au mont Chaambi en juillet 2014: quatorze militaires ont été pris en embuscade par des terroristes qui leur ont tiré dessus, les ont achevés à l’arme blanche avant de mutiler leurs cadavres. Les services d’élite de la gendarmerie nationale ont aussitôt investi la colline, mais certains criminels en ont réchappé. Ils se retrouvent dans les cités, mènent une guérilla urbaine sans grands moyens, des actions isolées. Il y a aussi une nouvelle génération de terroristes formés au sein de mosquées rigoristes, officieuses.

« Ennahdha est le bras armé du terrorisme en Tunisie »
Le problème en Tunisie, c’est que ce terrorisme est couvert par Ennahdha, l’un des partis de la coalition au pouvoir. Un parti islamiste très radical qui a tout de même obtenu un ministère et trois secrétariats d’Etat au sein du gouvernement formé par Habib Essid en février dernier. Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha, avait dit de manifestants salafistes: « Ce sont nos fils, ils me rappellent ma jeunesse ». Après l’attentat du Bardo, celui de Sousse vise un pôle universitaire, économique et touristique, c’est grave. Tout porte à croire qu’Ennahdha est le bras armé du terrorisme en Tunisie, qu’il veut mettre le pays à terre, l’empêcher de devenir une démocratie et en faire une théocratie sur le modèle de l’Iran de l’ayatollah Khomeiny. Il faut acculer Ennahdha à tomber le masque.

Rached Ghannouchi dit tout et son contraire : il vient de publier un livre chez Plon où il défend un islam des Lumières, modéré, mais en Tunisie, il est favorable à la charia et à la lapidation. Cette hypocrisie doit cesser. Il y a deux jours, à Monastir, ville touristique, le chef de la Sureté, nommé par le député Ali Larayedh, ancien ministre de l’Intérieur, membre d’Ennahdha et islamiste invétéré, a fait une descente dans un café avec treize policiers, au motif que l’établissement était ouvert pendant le Ramadan. Il s’en est pris violemment aux clients, a malmené une étudiante en lui arrachant son portable. Heureusement, il a été révoqué aussitôt. Avec Ennahdha, les libertés individuelles, le statut de la femme, sont en pleine régression. Quand l’attentat de Sousse a eu lieu, j’étais en train de lire cette phrase du philosophe espagnol José Ortega y Gasset, en préface de son livre La révolte des masses: « Par les trous que laissent les phrases absentes, ils [« ces âmes fabuleusement archaïques »] monteront au faisceau de la vie publique constituant ce qu’on pourrait appeler une « invasion verticale des barbares ». Et dire que ce texte date de 1929… »

Plus sur : L’express.fr

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