RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : Les mauvais calculs du Professeur Touadéra

  • Un adage africain dit : « la vraie nature d’une personne n’apparaît qu’une fois son objectif atteint ! ». « Président démocratiquement élu, je ne peux rester insensible aux demandes pressantes et légitimes du peuple souverain de doter notre pays d’une nouvelle Constitution ». C’est par ces mots, glissés de manière subtile dans un message diffusé sur les réseaux sociaux, que le chef de l’Etat centrafricain Faustin Archange Touadéra justifiait sa décision d’organiser un référendum constitutionnel, le 30 juillet prochain.
  • Cette annonce avait suscité, bien entendu, une vague de condamnations au sein d’une opposition centrafricaine prise de court et insuffisamment préparée à faire face à cette « forfaiture ». Elle n’a pas manqué de dénoncer une volonté du chef de l’Etat de briguer un troisième mandat en 2025, ce que lui interdit la Constitution entrée en vigueur en mars 2016, dans un contexte de guerre civile. Une Constitution sur laquelle le président Touadéra avait prêté serment la même année, au début de son premier mandat, puis en 2020 pour son second et dernier mandat qui prend fin en 2025.

Pourtant, la Constitution de 2016 dont la mise en œuvre était pilotée par le Professeur Abdoulaye Bathily, alors représentant de l’ONU pour l’Afrique centrale, est un document bien élaboré sur lequel il n’y a aucun reproche particulier à faire. D’ailleurs, dans son discours d’investiture, le 30 mars 2021, dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale à Bangui, le chef de l’Etat fraichement réélu disait ceci : «  La Constitution issue de ce Forum de Bangui, promulguée le jour de ma prise de fonction le 30 mars 2016, a fixé les bases fondamentales de la société et les principes de la République…
Le Peuple centrafricain, détenteur de la souveraineté nationale, a ainsi banni l’usurpation de sa souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé non démocratique, déclarant que ces procédés inscrits dans la Constitution constituent des crimes imprescriptibles et que toute personne qui accomplirait de tels actes lui aura déclaré la guerre. 
»

  • Faisons un bref rappel historique. Une guerre civile très meurtrière avait éclaté en 2013, à la suite du coup d’Etat mené par une alliance rebelle, la Séléka, contre le président centrafricain François Bozizé au pouvoir depuis dix ans. Ce majorité chrétienne et animistes dernier eut recours aux milices d’auto-défense, les anti-balakas, pour tenter de reprendre le pouvoir. Face aux violences intercommunautaires, la France, l’ex-puissance coloniale, déploya des troupes, à travers l’opération Sangaris de 2013 à 2016. La guerre civile causa des milliers de victimes, l’ONU accusant même les protagonistes, Séléka et anti-balakas, de crimes contre l’Humanité, en dépit de la présence d’une importante force de maintien de la paix de Casques bleus.
  • En janvier 2014, Cathérine Samba Panza, alors maire de Bangui, est élue par l’Assemblée nationale au poste de présidente de transition. Un an plus tard, Faustin Archange Touadéra, candidat indépendant et ancien premier ministre de François Bozizé, entre 2008 et 2013, devient chef de l’Etat, après sa victoire au second tour face à Anicet Georges Dologuélé. En 2020, les plus puissants des groupes rebelles, qui occupaient alors plus des deux tiers du territoire, mènent ensemble une vaste offensive sur Bangui. Le président Touadéra fit appel à la Russie et aux troupes de la société Wagner en renfort à l’armée nationale. Les rebelles délogés de la majeure partie des territoires qu’ils occupaient mènent désormais des opérations de guérilla.
  • Aujourd’hui, en Centrafrique, le pouvoir semble, désormais, être concentré entre les mains d’un président autoritaire, sinon autocratique, que ses indéniables qualités intellectuelles n’incitent ni à la modestie ni au partage du pouvoir. On voit mal l’issue de cette lente dérive, qui doit beaucoup à un entourage servile et courtisan. Des critiques ont fusé de partout, même dans son propre camp. Ainsi, le parti UNDP (Union nationale pour la démocratie et le progrès) dirigé par Michel Amine, pourtant en alliance avec le MCU (Mouvement des cœurs unis) du président Touadéra, s’est démarqué de ce projet funeste pour la démocratie centrafricaine en appelant les militants et le peuple à voter NON au référendum.
  • Parmi les griefs évoqués, par le président Touadéra, à l’encontre de l’actuelle Loi fondamentale, le prétexte selon lequel celle-ci « comporte des dispositions qui pourraient compromettre le développement économique, social, culturel et politique ». Mieux, il lui est également reproché de ne pas offrir « de solution appropriée aux causes des conflits militaro-politiques récurrents ». Faut-il rappeler que la Cour constitutionnelle centrafricaine avait annulé, en septembre 2022, les décrets mettant en place un comité chargé de rédiger une nouvelle Constitution. Cette institution avait jugé les décrets « inconstitutionnels et invalidés », tout en précisant que « la révision de la Constitution ne peut être opérée qu’après la mise en place du Sénat, qui n’est pas institué dans le pays ».

Certaines dispositions du projet de nouvelle Constitution soumise à référendum posent problèmes. Selon des juristes constitutionnalistes, une candidature du Président Faustin Archange Touadéra ne serait pas recevable en 2025, la constitution à laquelle il avait, de manière solennelle, prêté serment disposant en son article 35, dernier alinéa, ce qui suit : « En aucun cas, le Président de la République ne peut exercer plus de deux (02) mandats consécutifs ou le proroger pour quelque motif que ce soit. » En outre, la volonté de porter la durée du mandat de 5 à 7 ans n’est « non conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle ».

D’autre part, au regard des nouvelles dispositions, le caractère discriminatoire du texte soumis par référendum au peuple centrafricain est sans équivoque. D’ores et déjà, la volonté de faire sauter le verrou de la limitation des mandats ne fait l’objet d’aucun doute. Le président Touadéra dont le mandat en cours est le second et dernier – même si le caractère de non-rétroactivité d’une telle disposition est un argument utilisé par certains pour le justifier – montre bien que la volonté qu’on lui prête de rester un « président à vie » est loin d’être une simple vue de l’esprit.

Les nouvelles dispositions introduites dans cet article 67 ne laissent planer aucun doute sur les intentions réelles du président sortant de briguer un 3è mandat, mais surtout de barrer la route à d’éventuels adversaires, les binationaux en particulier, exclus d’office si la volonté du Prince est concrétisée. Mais le plus grave est la discrimination de fait exercée à l’égard de dignes fils et filles du pays, au prétexte fallacieux qu’ils n’auraient pas les compétences académiques requises. Comment imposer le niveau de la licence à un quelconque candidat dans une compétition où, selon les dispositions de la même loi fondamentale, en ses articles 12 et 13 stipulent : « Art.12 : Tous les Centrafricains sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois. ». Ou également « Art.13 : Aucun Centrafricain ne peut, en matière d’éducation ou d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de son appartenance régionale, tribale, ethnique, à une minorité culturelle ou linguistique. ».  Ainsi, il ressort de cette disposition du projet de nouvelle constitution que le fils d’un cultivateur, d’un artisan boulanger, d’un maçon ou autre, ne pourra jamais devenir député pour servir son pays.

En tout état de cause, au moment où la limitation des mandats devient une exigence de gouvernance politique – en dépit des résistances fortes observées en Afrique centrale -, le professeur Touadéra se livre à des calculs hasardeux et inopportuns pour la démocratie centrafricaine encore balbutiante.

Bonne semaine à tous !

 Karim DIAKHATÉ

Directeur de Publication LE PANAFRICAIN

Coordonnateur de la Rédaction AFRIQUE DÉMOCRATIE

 

 

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