Qui sont les esclaves du Fouta ?(Opinion)

 

Dans la société des Peuls (ou Pulaars ou Toucouleurs) du Sénégal, les Maccubés ont la guigne. Ils se marient entre eux, s’occupent des corvées de leurs « maîtres » lors des fêtes, ne peuvent prétendre à aucun poste à responsabilité et s’assoient par terre lors des assemblées. Ces esclaves, aujourd’hui en grande partie libérés, sont ainsi une partie intégrante d’une communauté qui les méprise.

Dans le Fouta, ils seraient encore plusieurs milliers. Leurs ancêtres ont été captifs de guerre ou simples victimes des trafics d’êtres humains de l’époque. Leur condition ne changera pas, car la société sénégalaise, en particulier les Peuls du Fouta, les considérera toujours comme appartenant à la caste la plus inférieure. Mais s’ils servent un maître, c’est aujourd’hui de façon volontaire.

Bamba Daf, 47 ans, propriétaire d’une petite quincaillerie à Ndoulomadji Démbé, est de la caste des Diawandos. Au temps des royaumes africains, les Diawandos étaient à la fois courtisans et conseillers des rois. Ils officiaient comme des courroies de transmission entre les différentes castes dans la société pulaar. Les esclaves ne pouvaient pas adresser la parole à un représentant d’une caste noble, mais ils pouvaient parler à un Diawando, qui passait des messages. « Les temps changent, mais jusqu’à un passé récent, les Maccubés (esclaves) étaient considérés comme des animaux », dit Bamba Daf. « Ils ne se mariaient pas. Souvent, ils se prêtaient ou s’empruntaient pour accouplement. Ils portaient le nom de leur maître ».

Quand l’amour devient impossible

Etre maccudo revêt parfois des contours dramatiques. L’histoire d’Alfa, jeune cultivateur du Fouta, en est un exemple. De caste maccubé, il a commis en mai 2014 le crime de tomber amoureux et de mettre grosse une fille de la classe des Ceddos, une composante de la noblesse. À la naissance du bébé, les parents d’Alfa sont allés demander la main de la jeune fille. Ils ont été éconduits, récoltant au passage une ribambelle de propos blessants. « Ce jour-là, mon père était dans tous ses états. Non seulement la famille de ma copine lui a notifié que ce mariage n’aura jamais lieu mais elle s’est défoulée sur lui en lui rappelant nos origines inférieures », raconte Alfa sur un ton chargé de désolation.

L’histoire va bégayer lorsque la jeune fille tombe enceinte une seconde fois du même homme. La famille « noble » refuse encore. Pire, leur fille sera donnée en mariage à un autre homme. Frustrés, les parents d’Alpha trouveront une fille de la même classe sociale qu’eux pour leur enfant. « Ces croyances retardent notre société. Aujourd’hui, j’essaie de reconstruire ma vie auprès d’une femme que je n’aime pas et je reste convaincu que c’est pareil pour mon ex-copine », soupire Alfa.

« Les enfants issus de mariages entre les Maccubés et les autres castes, sont toujours considérés comme des esclaves », explique Bamba Daf. « Certains Maccubés peuvent s’affranchir en achetant leur liberté mais leur statut leur colle à la peau pour toute leur vie et à celle de leurs descendants. »

Ainsi, dans le Fouta, les Maccubés ne peuvent accéder à des postes de responsabilité ni à des mandats électifs, des métiers comme imam ou président d’association, sauf si c’est une association de Maccubés. Pourquoi ? “Parce que les autres couches de la société n’acceptent pas d’être dirigées par un esclave”, conclut Bamba Daf.

Par Amadou Ndiaye (contributeur, Le Monde Afrique, région de Matam,Sénégal)
Source : le monde.fr

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