« Notre mission, c’est de ravitailler toute la Guinée en huile végétale, sans cholestérol » , dixit Mohamed Keïta, DG de l’huilerie Sincery de Dabola (INTERVIEW EXCLUSIVE)
http://Actuguinee.org/ Un an après sa nomination dans le cadre de la relance de l’usine d’huilerie de Dabola- un trésor de la première République qui renait de ses cendres grâce au partenariat Public-Privé- Mohamed Keïta âgé de 49 ans lève un coin de voile sur une gamme de mesures incitatives qu’il a enclenchées récemment afin de résorber la problématique d’approvisionnement de l’usine en arachide-coque tout en boostant les rendements tombés au plus bas de l’échelle depuis plusieurs décennies. Cet ingénieur-chimiste spécialisé en technologie alimentaire, ayant gravi des échelons au ministère de l’industrie et des PME, s’est donc prêté aux questions de Mamadi CISSE, le correspondant d’Actuguinee.org pour la Haute-Guinée.
Actuguinee.org : Beaucoup restent marqués par le passé de cette usine d’huilerie dont vous tenez désormais les rênes. Pouvez–vous nous en dire plus ?
Mohamed Keïta : Dans les années 60 le Président de la République d’alors, le camarade Ahmed Sékou Touré a entamé un vaste programme d’industrialisation en passant par des plans triennaux, quinquennaux etc. Donc, c’est dans ce cadre là que l’huilerie de Dabola a été initiée. A cette époque, elle fonctionnait sur la base de contributions qu’on appelait ‘’les normes ». Donc, toutes les zones où il y avait des poches de production d’arachide étaient mises à contribution pour ravitailler l’usine. Evidemment, l’arachide quittait aussi la Gambie. Il y avait un protocole entre les Gouvernements guinéen et gambien. Donc, la Gambie nous fournissait en arachide et les pèlerins gambiens étaient mis au compte de la Guinée. Il y avait cette compensation. L’usine là a commencé à fonctionner dans les années 60 jusqu’en 93. Il y a eu beaucoup de soubresauts : il y a eu des moments d’arrêt et de relance, finalement l’usine s’est arrêtée définitivement en 1993. Depuis lors, les machines sont restées intactes. C’est ce qui a valu même l’admiration des repreneurs parce que la plupart des industries qui étaient dans d’autres préfectures ont été démantelées avec des pièces de rechange vandalisées. Quand vous prenez l’exemple sur l’usine de gari de Faranah, il n’ y a qu’une carcasse qui existe actuellement mais le cas spécifique de l’huilerie de Dabola, c’est que toutes les machines existaient quand les partenaires sont venus. Elle [l’usine] était hors d’usage mais les machines existaient. Donc, il y a eu un protocole d’accord entre l’Etat guinéen et le groupe Castel qui a repris l’usine en 2013. Ils ont repris entièrement l’usine : avant les machines étaient mécaniques mais aujourd’hui, elles sont automatiques. A partir d’une supervision, toutes les machines sont contrôlées du pont-bascule jusqu’au stockage tout est automatisé. Il vous souviendra que vers les années 2015-2017, il y a eu des problèmes d’approvisionnement de l’usine en arachide. Imaginez une usine qui a une capacité de production de 50 mille tonnes d’arachide-coque par an et qui peine à avoir même 1% de sa production pendant cinq ans. Vous voyez les grandes difficultés qu’il y avait. Donc, le partenaire s’est découragé parce que quand on investit, on s’attend à un retour sur l’investissement. C’est ainsi que le partenaire a voulu se retirer et ça a créé des frustrations au niveau de la population locale. Ils ont demandé au Gouvernement d’intervenir. C’est ainsi qu’il y a eu une renégociation : le Gouvernement guinéen est rentré dans le capital à hauteur de 51% et jusqu’à date nous sommes sur ce processus là.
Il y a juste un an que vous avez été nommé au poste de Directeur General de cette usine offrant une vue imprenable de la chaine de montagne Sincery dont elle est surnommée. Qu’elles ont été les grandes innovations que vous avez pu apporter dans le cadre de sa relance ?
–Quand je prenais la tête de cette société, j’ai trouvé une équipe qui était déjà en place, qui était soudée, qui travaillait. A ma prise de service, tout le monde s’est mis à ma disposition. Mon premier travail a été de sillonner tous les centres de collecte d’arachide qu’on appelle ‘’centrales d’achat’’ pour voir les localités qui nous approvisionnent en arachide. Mais le grand constat pendant ma prise de contact avec les populations, il s’est avéré qu’il n’y avait pas eu, avant que je n’arrive, une avance-campagne : On entend par avance-campagne, quand l’usine met à disposition des fonds. Ça peut être de l’argent pour acheter la semence, des engrais ,des herbicides qu’on donne aux paysans qui produisent à partir des coopératives. A la récolte, ils nous remboursent en contrepartie en arachide-coque. Donc, c’était très difficile pour moi de collecter parce que déjà quand tu n’as pas aidé le paysan à produire, tu ne peux pas l’obliger à te vendre sa récolte. Donc, ma mission était double : prendre contact avec eux, les sensibiliser pour qu’ils puissent faire face au défi que j’avais à relever en matière d’approvisionnement de cette usine. Et aussi, nous avons fait un plan stratégique parce qu’il faut avoir une vision à long terme. Ce plan stratégique a principalement pour objectif d’atteindre le seuil de rentabilité maximale de la production. Même si nous n’atteignons pas les 50 mille tonnes mais au moins si nous avons les 30 mille tonnes d’arachide-coque, on rentre dans le seuil de rentabilité. Donc, ce plan stratégique est reparti en cinq ans qu’on appelle plan quinquennal 2021, 2022, 2023, 2024 et 2025. L’objectif pour ce plan stratégique c’est d’augmenter notre capacité d’achat de récoltes à 10 mille tonnes, chaque année. Actuellement nous travaillons à 100% avec un personnel local : des ingénieurs, des ouvriers et des manœuvres guinéens mais bien évidemment qui ont de l’expertise. Et aussi, on a un champ expérimental à N’dèma où l’Etat a octroyé à l’usine une superficie de 4 mille hectares. Cette année, nous y avons installé des personnes [producteurs] à qui nous donnons des soutiens pour qu’elles puissent cultiver. En fin de compte, la récolte est vendue à l’usine tout en défalquant l’avance que nous avons effectuée. Vous savez que toute l’arachide cultivée en République de Guinée à peu près, c’est de 800 à 850 mille tonnes. La zone de Faranah qu’on appelle ‘’le bassin arachidier de Dabola’’ représente 18% de cette production et toute l’arachide qui est cultivée n’est pas seulement destinée à l’usine puisqu’on a des difficultés énormes de collecte dans la zone de Dabola et qui est en train de s’améliorer parce que la population est en train d’adhérer à l’idée d’approvisionner l’usine puisque quand l’usine fonctionne pendant plusieurs mois , pratiquement on ne trouvera pas assez de main d’œuvre ici. On ira chercher ailleurs. Donc, en prélude à l’augmentation de notre capacité de collecte, nous avons étendu nos activités à Dinguiraye et aussi vers Koundara, de Gaoual et aussi la zone de Mandiana qui est une autre zone par excellence de production d’arachide. Nous avons même un collecteur qui évolue dans cet endroit. De façon générale, l’huilerie ne s’appuie pas seulement sur Dabola et ses environnants. Nous voulons avoir d’autres poches de culture avec des particuliers pour approvisionner l’usine. Il y a aussi une entreprise agricole guinéenne qui s’appelle ‘’ AGRI 21 ‘’ qui a son domaine agricole à Sangardö dans le village de Kongoa où on a un lien commercial avec des promoteurs avec un champ de 27 hectares partiellement financé par l’huilerie. Nous avons donné des instants pour accompagner les producteurs pour qu’ils puissent mettre en valeur ces superficies et nous revendre [ les récoltes ]. Donc, à l’image de Kongoa, il y a beaucoup d’autres producteurs qui ont bénéficié de ces avantages.
Monsieur le Directeur, pouvez nous parler du processus de transformation de l’arachide au sein de votre usine ?
[…] Après la production, on a quatre produits : le principal c’est l’huile brute d’arachide, nous avons les tourteaux qui sont issus du filtra qui sont utilisés dans l’alimentation des bétails et de la volaille, il y a aussi les briquettes qui peuvent être une alternative pour le charbon de bois, il y a aussi le Son : Ce sont des résidus recueillis après le décorticage, actuellement ce produit là n’est pas trop connu ici parce qu’il faut le transformer avec des additifs alimentaires pour donner aux bétails et aux volailles. Comme tu le vois, dans le processus de transformation d’arachide, il y a zéro déchet.
Cette huile d’arachide, très prisée par les consommateurs, est-elle déjà disponible sur le marché guinéen ?
Quand j’ai pris fonction, ce fut aussi l’une des innovations { Il nous montre sur une table un bidon transparent de cinq litres rempli d’huile d’arachide avant de poursuivre }. Au départ, l’huile qui était produite était en majorité exportée. L’année dernière, nous avons produit 245 tonnes d’huile brute. Donc, qu’est-ce que nous avons fait ? Une partie a été exportée et l’autre partie a été commercialisée au niveau local. Et pour une bonne visibilité du produit, nous avons mis l’accent sur sa présentation qui peut attirer le client. Au lieu de vendre l’huile dans des bidons recyclés ,moi j’ai innové en faisant cet emballage avec une analyse sanitaire et alimentaire au niveau du laboratoire national de contrôle de qualités et l’institut guinéen de normalisation, pour avoir notre certificat de conformité.
Quels sont les défis majeurs auxquels vous-êtes confrontés ?
On a un besoin de financement. Imaginez une entreprise industrielle qui a une capacité maximale de 50 mille tonnes d’arachide-coque par an et que de 2015, l’année de son lancement jusque maintenant, quand on fait de façon cumulée, la quantité d’arachide-coque transformée n’atteint pas 1% de sa capacité annuelle. Le principal défi auquel nous sommes confrontés, c’est l’approvisionnement constant de l’usine. Notre objectif est de 30 mille tonnes parce qu’aucune entreprise ne transforme à 100% la valeur nominale. Donc, nous informons la population guinéenne qu’il y a une industrie en Guinée, particulièrement à Dabola qui transforme de l’arachide-coque en huile brute. Notre mission, c’est de ravitailler toute la Guinée en huile végétale, propre à la consommation, sans cholestérol.
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