Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste
partage l’opinion de ceux qui croient dur comme fer que pour les échéances
électorales à venir, le président Alpha Condé dispose d’un atout maître qu’est
la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), une institution qui est
toujours du bon côté du manche. Cette chronique vous parvient tous les
dimanches sur les ondes de la radio City FM 88.1, dans l’émission « A vous
de convaincre ».
Talibé Barry : Bonjour Mamadou Dian Baldé.
Alors que l’on en était à qui va ou ne va pas aux consultations nationales
cornaquées par le Premier ministre, le brûlot des élections législatives s’est
soudain mis à attiser la scène politique guinéenne. Les principaux partis
d’opposition sont plus que jamais échaudés par la date du 28 décembre 2019,
annoncée urbi et orbi, par le président de la CENI. Mais pour vous, Mamadou
Dian Baldé, Me Salifou Kébé n’a pas tout simplement pas résisté au diktat du
président Alpha Condé qui, en réalité, est le seul à décider de la date des
élections en Guinée. Expliquez-nous pourquoi et comment ?
Mamadou Dian Baldé: Le
président Alpha Condé vient de prouver encore si besoin en était, qu’il demeure
le véritable maître des horloges du calendrier électoral, en intimant à
la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) de mener les
électeurs guinéens au pas de charge aux urnes, quitte à cette dernière de se
brûler les vaisseaux.
Le
chef de l’Etat avait profité de son adresse à la Nation du 04 septembre pour
faire coup double, en instruisant à son Premier ministre de doter la Ceni de
moyens nécessaires pour l’organisation des élections législatives avant fin
2019. Après avoir dévoilé ses intentions en faveur d’un changement
constitutionnel.
Des
instructions qui sont tombées dans des bonnes oreilles, puisque le Premier
ministre Dr Kassory Fofana s’est aussitôt dit prêt à ouvrir les vannes, afin de
remettre à flot cette institution électorale qui avait connu une
longue période de disette d’argent.
Du
pain bénit certes pour les commissaires de la Ceni et leur président. Mais
qui comme un fil à la patte, réduit leur marge de manœuvre.
Cela
dénote simplement que la Ceni n’est indépendante que de nom. Le fait que
le gouvernement surfe subtilement sur les subventions dont elle est
tributaire, en la mettant sous perfusion, rend notre Ceni très
vulnérable.
C’est
ainsi que depuis l’avènement de la troisième république, nos commissaires ont
le doigt sur la couture du pantalon. Avec une immixtion de l’exécutif dans le
fonctionnement de l’institution. Ce qui n’a pas été sans conséquence néfaste
pour le bon déroulement des différents scrutins, dont les communales du 04
février dernier, les législatives du 28 septembre 2013, sans oublier les
présidentielles de 2010 et 2015.
Avec
à la clé des manifestations violentes réprimées dans le sang.
L’épisode
douloureux de l’opérateur Waymark-Sabari est encore dans les mémoires des
Guinéens, et le décompte macabre qui en a découlé.
Voilà
que notre Ceni s’apprête à nous servir le même plat avec son président qui n’en
fait qu’à sa tête.
Cette date des législatives dont se sont
publiquement désolidarisés les commissaires de l’opposition, révèle plutôt la
vraie face d’un président de la CENI aux ordres du Palais Sekhoutourea. Sous la
pression du président Alpha Condé qui veut des élections législatives avant la
fin de l’année, Me Salif Kébé, selon vous, y est allé comme un éléphant dans un
magasin de porcelaine. Cette analogie peut paraître sévère…
Dr Salifou Kébé comme un éléphant dans un
magasin de porcelaine
Le
président de l’institution électorale, Me Salif Kébé, en bon
« sous-fifre » ne pouvait qu’accéder à cette demande du chef de
l’Etat. C’est du moins ce qu’affirment ses détracteurs. Car comme par magie, il
a sorti de son chapeau, la date du 28 décembre pour la tenue des législatives.
Au grand dam de ses collègues commissaires, dont sept vont se désolidariser de
cette démarche unilatérale en se fendant d’une déclaration, pour ameuter
l’opinion sur la carambouille de leur président.
Dans
leur déclaration, les commissaires frondeurs dénoncent l’attitude de leur
président qui, à cette allure ne pourrait que servir un processus électoral
biaisé aux Guinéens.
En
porte-à-faux avec les recommandations issues de la retraite de Kindia où ils
étaient convenus d’un délai de 235 jours pour dérouler le chronogramme
des législatives, si jamais toutes les contraintes financières,
administratives et techniques étaient levées.
Vu
que la levée de ces contraintes n’est survenue que le 09 septembre, les
frondeurs estiment que la date du 28 décembre n’est donc pas jouable, comme le
prétend Me Kébé.
Il
n’en fallait pas plus pour que les partis politiques s’invitent dans cette
foire d’empoigne qui se déroule au sein de la Ceni.
L’honorable
Damaro Camara a été le premier à se rependre dans la presse. Et comme à son
habitude, le président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle
est allé sans filtre, d’un ton acrimonieux.
« Avec
ou sans l’opposition, nous irons aux élections. Nous voulons que les élections
soient transparentes, crédibles, inclusives. Mais si quelqu’un ne veut pas
participer à une élection, nous n’allons forcer personne », peste
Damaro, dans un entretien chez nos confrères du site africaguinee.com. Le
député n’avait fait que réitérer son propos tenu en début de semaine dans
l’émission les « grandes gueules » de radio espace.
Réponse
du berger à la bergère, Dr Fodé Oussou Fofana, lui aussi président du groupe
parlementaire des Libéraux n’a pas fait dans la dentelle, en martelant sur le
site mosaiqueguinee.com : « ceux
qui pensent qu’on peut organiser des élections avec ou sans l’opposition, se
trompent d’époque. Il n’y aura aucune élection organisée dans ce pays, sans
l’opposition. Ça veut dire, si l’opposition ne va pas à une élection dans ce
pays, c’est qu’il n’y a pas d’élection. Parce que, aujourd’hui, quoi qu’on
dise, le RPG est en lambeau. L’opposition, nous contrôlons les 65 à 70% de la
population guinéenne. Si nous ne voulons pas d’élections, ça n’aura pas lieu »,
fin de citation.
Me
Salif Kébé vient donc d’ouvrir la boîte de pandores. Le même qui avait mené la
fronde pour évincer son prédécesseur Bakary Fofana, qu’il accusait de tous les
péchés d’Israël.
C’est
finalement le principe « ôte-toi de là que je m’y mette ». On l’a
compris.
Vouloir
persister dans ce qui est considéré aujourd’hui comme une politique suicidaire
par maints observateurs, pourrait exposer le président de la Ceni à la vindicte
publique. C’est le moins qu’on puisse dire.
Il
ne faudrait donc nullement s’étonner de l’effet boomerang d’une telle démarche
pour un robin qui se dit prêt à braver la loi, pour satisfaire les desideratas
d’un homme. Ce qui révèle la vraie face de cet avocat qualifié à tort ou
à raison de « marron » dans la corporation des robins.
S’il y a des hommes que les questions
constitutionnelle et législative servent, pour vous Mamadou Dian Baldé, c’est
Cellou Dalein et Sidya Touré, devenus soudain, bon gré mal gré, les meilleurs
alliés de circonstance. Comme larrons en foire, Sydia et Cellou dans un pas de
deux, écrivez-vous…?
Sydia et Cellou dans un pas de deux
Les
deux principaux leaders de l’opposition sont dorénavant comme deux larrons en
foire. Cellou et Sydia dont il s’agit essaient de surpasser leur égotisme pour
se liguer contre le locataire du palais Sekhoutourea, à qui on prête les
intentions de vouloir se mettre sur les rangs au-delà de 2020.
Ces
deux personnalités qui ont en commun de diriger des partis de gouvernement,
jouent leur va-tout. Et ils savent plus que quiconque que le maintien du
président Condé dans le jeu politique après la fin de son second mandat,
pourrait les éclipser de la scène.
Ils
iront alors grossir les rangs de ces politiciens démonétisés. D’où ce
rapprochement entre les deux opposants pour faire front contre les velléités du
parti au pouvoir. Ils sont d’ailleurs à l’avant-garde du FNDC, plateforme
porte-étendard de la lutte anti troisième mandat.
Ces
deux rivaux, qui sont de véritables mâles dominants ont décidé finalement
de jouer l’unité pour freiner le locataire du palais.
Une
unité d’action qui renvoie une image positive de ces deux leaders aux yeux de
leurs militants, alors que le pouvoir n’y voit qu’une unité de façade.
Preuve
que ce pas de deux n’est pas vu d’un bon œil dans le camp adverse, où on
préfère voir plutôt ces deux leaders se bouffer le nez, constamment, que
d’emboucher la même trompette.