http://Actuguinee.org / Le docteur Makan Kourouma, 69 ans, est l’un des vieux briscards du secteur agricole. Cet ancien directeur du Centre de Recherche Agronomique Bordo de Kankan, a décidé de briser le silence sur la gestion populiste de toutes les politiques agricoles guinéennes basées selon lui, sur des techniques culturales inadaptées et dévastatrices dont les rendements ont toujours été moindres par rapport aux attentes et aux investissements.
La Guinée, malgré tous ses gros investissements dans le secteur agricole, peine toujours à s’auto-suffire sur le plan agro-alimentaire.
Selon vous, ce fait est dû à quoi ?
Dr Makan Kourouma / -Cette question a beaucoup d’embranchements. D’abord, si je prends sur le plan politique.
Depuis la première république, on disait que l’agriculture est la pierre angulaire du développement de la Guinée alors que c’était politique. La première république a beaucoup investi. Ils ont acheté des tracteurs.
Chaque PRL [ pouvoir révolutionnaire local ], avait son tracteur. Ça veut dire que chaque village, chaque quartier, avait son tracteur. Mais l’investissement n’a pas donné parce qu’il fallait aménager nos sols.
Aménager simplement et mettre à la disposition des paysans, même si tu n’importes pas de tracteurs. Il y en a qui peuvent produire deux ou trois fois par an.
Ça peut leur suffire. Ça peut augmenter l’autosuffisance alimentaire. la deuxième république n’a pas fait d’aménagement aussi comme il faut.
Elle n’a aménagé que 2% du potentiel agricole. Si tu prends la troisième république, elle a pensé que si tu mets beaucoup d’intrants à la disposition des paysans, ça va booster le développement de la production.
Au contraire, ça a habitué les paysans à utiliser les intrants chimiques sans se référer aux conséquences. La troisième république a acheté beaucoup d’engrais, beaucoup d’herbicides, beaucoup d’insecticides qu’on a mis à la disposition des paysans à des prix subventionnés.
Elle pensait aider les paysans avec ça (…) Ça nous a pas donné l’autosuffisance alimentaire.
Si on voudrait l’autosuffisance alimentaire, on aurait aménagé toutes nos plaines agricoles. Tout ce qu’on a investi dans l’engrais si on le mettait dans l’aménagement des plaines et des bas-fonds, ça suffirait pour donner du bonus au développement agricole.
Et la première république, et la deuxième république, et la troisième république, personne n’a soutenu la recherche agricole. Et pourtant, c’est le levier du développement agricole, c’est la boussole.
-Vous voulez insinuer que le CRAB [Centre de Recherche Agronomique de Bordo] que vous avez dirigé a été toujours laissé pour compte ?
Dr Makan Kourouma / Bon, ça n’a pas été totalement laissé pour compte mais, nos ambitions n’ont pas été réalisées. Il faut se dire la vérité. Le Professeur Alpha Condé a mis beaucoup de moyens financiers à la disposition de la recherche.
Ça a été mal géré. La Banque Mondiale qui a boosté le développement de la recherche en Guinée, n’a pas mis plus de six millions de dollars mais, elle a acheté des motos pour tous les chercheurs et a financé les activités de recherche. Le gouvernement du professeur Alpha Condé, pour une première fois, a mis sept milliards de francs guinéens.
L’année qui a suivi, 14 milliards à la disposition de la recherche.
Est-ce que ça ne suffit pas pour booster la recherche agricole ? Ça s’est volatilisé. Les chercheurs à la base sont laissés pour compte. Cette recherche est faite à Conakry. Je vais dire comme ça.
L’agriculture guinéenne est confrontée à d’autre problème actuel. Il faut se mettre à la page. Beaucoup de pays ont commencé à prendre déjà le devant. C’est les effets du changement climatique sur l’agriculture.
Donc, il faut que l’État aussi essaie de prendre le train en marche. Alors, les pluies sont devenues erratiques. Il faut que les scientifiques guinéens cherchent à s’adapter à ça et refassent des bonnes recommandations aux paysans. Moi, personnellement, depuis 2005, ayant constaté cela, je me suis orienté dans une autre branche d’activités de recherche qu’on appelle l’agro-écologie : C’est concilier les phénomènes naturels aux activités agricoles.
Nos parents ne connaissaient pas l’engrais mais, ils produisaient, il n’y avait aucun problème bien que les superficies étaient petites (…).
Présentement, les rendements ont baissé, les terres sont dégradées, les semences qu’ils ont à leur disposition ne sont plus adaptées aux nouvelles conditions climatiques.
-Qu’est-ce qui a dégradé les sols selon vous ?
Dr Makan Kourouma / -C’est les mauvaises pratiques agricoles telles que le labour répété des sols, l’utilisation des engrais, l’utilisation des herbicides, tout ça là a dégradé nos sols.
Ensuite, les pluies ne sont plus installées comme auparavant, les gens ont coupé les forêts, ils ont dégradé complètement l’environnement. C’est ce qu’on appelle les activités anthropiques .
-Quelles solutions faut-il trouver à tout ça ? -La solution, c’est de chercher les alternatives. D’abord, un paysan qui a l’habitude de semer au mois de mai, s’il se hasarde maintenant à le faire, il est voué à l’échec.
Mais, il y a d’autres méthodes qui peuvent lui permettre de semer à la même date. C’est de gérer la petite quantité d’eau qui tombent… -Tout à l’heure, hors micro, vous disiez avoir trouvé une alternative entre les techniques culturales d’hier et celles d’aujourd’hui.
C’est quoi cette alternative ?
Dr Makan Kourouma / J’ai dit qu’il faut retourner un peu à l’ordre ancien mais, l’ordre ancien amélioré.
-C’est quoi l’ordre ancien amélioré ?
Dr Makan Kourouma / Si tu allais dans nos jardins potagers, nos parents n’utilisaient jamais d’engrais, ils n’utilisaient jamais de pesticides, ils utilisaient des déjections de ménage, des bouses de vache, des crottins de chèvre, ainsi de suite.
Alors, si dans une exploitation, le chef de ménage essaie de creuser un grand trou dans sa champ. Il dit à sa famille ‘’jetez tout dans ça sauf les choses plastiques et les taisons de bouteille mais, tout ce qu’on mange et qu’on jette, il faut me jeter ici ». Il a un parc à côté, il envoie toujours la bouse de vache, il met sur ça.
Finalement, quand c’est rempli, il couvre. D’ici là saison pluvieuse, ça s’est déjà décomposé. Il a de l’engrais. Ça, c’est des tonnages d’engrais.
-Et pour les grands producteurs parce qu’ils doivent nourrir tout un pays ?
Dr Makan Kourouma / -Pour les grands producteurs, il faut leur apprendre ce qu’on appelle l’agriculture adaptée. C’est pas interdit qu’ils utilisent l’engrais mais, il faut l’utiliser de façon raisonnée. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Quand un grand producteur a beaucoup d’engrais à sa disposition, il met la quantité qu’il faut, il ne consulte même pas la composition de son sol. C’est pourquoi, les grands producteurs là, doivent venir dans les centres de recherche ou bien dans les laboratoires de recherche pour connaitre quel est l’état de leurs sols et demander de leur faire des recommandations.
Propos décryptés par Mamadi CISSE pour Actuguinee.org