Ancien ministre Secrétaire général à la présidence de la République, Fodé Bangoura est l’actuel leader du Parti de l’unité et du progrès (PUP) créé en 1992 pour soutenir le régime de feu le général Lansana Conté. Il dit sa part de vérité sur le bombardement du Palais des nations en 1996, l’agression rebelle de 2000 et l’affaire Kaporo-rails. Exclusif.
Le Populaire: Des anciens militaires, notamment l’ex-officier Aboubacar Sidiki Diaby et le commandant Yaya Sow ont rejoint le Rpg Arc-en-ciel. Quel est votre commentaire ?
Fodé Bangoura: Chaque citoyen est libre d’adhérer à un parti. Sur ce plan, je n’ai pas de problème. Quand il y a rébellion dans un pays, ce n’est pas contre le chef d’État seulement. C’est aussi contre les citoyens de ce pays. Quand il y avait eu la rébellion en 2000 qui sait le nombre de guinéens tués ? Lansana Conté s’en est sorti sain et sauf. Conakry n’a même pas été agressée. À l’époque c’est Lansana Conté qui était le père de la nation. Nous avions dénoncé à l’époque pour dire que des guinéens ont agressé leurs propres frères, leur patrie. Certains n’avaient pas voulu croire. Mais il n’y a pas meilleurs témoins que les intéressés eux-mêmes qui viennent de dire: « nous avions fait ça ou nous avions voulu faire ça ». Et où ils l’ont dit?, c’est au siège d’un parti qui est au pouvoir, ce qui est malheureux.
Pour vous, cela démontre une complicité qu’il y avait entre le Rpg Arc-en-ciel et les rebelles?
Non! C’est-à-dire que c’est le Rpg Arc-en-ciel en premier qui devrait réagir. On dit souvent: « ne vous moquez pas de celui qui est en train de se noyer quand vous n’avez pas atteint l’autre rive ». Hier, c’était Lansana Conté, mais aujourd’hui c’est quelqu’un d’autre. Je n’y étais pas, mais certains disent qu’ils ont été ovationnés.
Comment on peut ovationner un agresseur ? Quelqu’un qui prépare une rébellion contre son pays et vous, vous êtes citoyens de ce même pays. Ce qui est incompréhensible et inadmissible pour moi. Il arrivera un moment dans notre pays où on lira correctement nos pages d’histoire. Ceux qui sont en train de chiffonner ces pages là aujourd’hui ne le pourront pas demain, puisque les intéressés commencent à se dénoncer eux-mêmes publiquement.
Expliquez-nous ces événements… La première agression que la Guinée indépendante a connue c’était en 1970 ( agression portugaise, Ndlr). J’étais encore etudiant. Mais là aussi des guinéens étaient complices tout comme en 2000. Si vous fouillez dans la presse, à l’anniversaire de cette agression en septembre que j’avais présidée à l’époque, j’avais dit: « la pire des nuits que j’avais passée c’est d’apprendre qu’un centimètre carré de notre territoire était occupé par des rebelles.
J’ai été à Pamelap jusqu’à Balamiya, c’est très dur. Quand on agressait la Guinée en 2000, le président n’était pas en Guinée. Il était au Maroc. La Guinée avait été agressée la nuit qu’il est parti. Il est revenu dans le vol suivant. J’étais aussi au Palais de nations quand on l’avait bombardé en 1996. Ce Palais avait été construit par feu Ahmed Sékou Touré. C’est l’argent du contribuable guinéen. Ceux qui sont morts à Coronthie, c’étaient des guinéens. Lansana Conté n’a même pas été blessé. Moi, au moins, j’ai été blessé. Ce sont des faits historiques, on ne doit pas s’en féliciter. On ne doit pas réclamer des trophées pour avoir bombardé un palais.
La reconstruction pour le remettre à cet état nous a coûtés chère. Ce qui était là-dans, le mobilier, était plus beau que maintenant. Je retiens ce que le président sierra léonais avait dit quand il a visité les ruines, parce que c’est moi qui l’accompagnait. Le président Ahmad Tejan Kabbah était à la Conférence islamique qui s’était tenue dans ce palais quelques temps avant le bombardement. Il a dit: » le fait que ce palais soit bombardé, fait mal, mais qu’il soit bombardé encore par des guinéens, fait encore plus mal ». Alors, s’il faut réclamer des trophées pour cela et se faire aplaudir, moi, encore ça me fait très mal.
Quand on l’a fait, on doit se taire et laisser l’histoire juger. Quelle a été l’attitude de Lansana Conté suite l’agression rebelle et au bombardement du Palais? Il a bien géré et a repris la situation en main. Il y a eu un procès pour ça. Certains ont été condamnés. D’abord, avant l’agression de 2000, la Guinée soutenait déjà l’effort de guerre des pays voisins. Il est arrivé à un moment donné que le dixième de la population guinéenne était de réfugiés à cause des problèmes en Sierra Leone et au Liberia. La Guinée a payé chèrement de ces crises dans ces pays frères. Donc, quand la Guinée a été agressée, Lansana Conté a géré en bon soldat et en bon stratège. C’est le seul pays à l’époque qui a refusé une force d’interposition et qui a sorti les rebelles du pays.
Qu’est ce que vous aviez répondu à la CEDEAO qui proposait au gouvernement guinéen d’envoyer une force d’interposition?
Il est difficile de dire non. Mais. On avait demandé à l’époque que « si on doit être d’accord pour recevoir cette force d’interposition qu’elle ne soit pas basée sur le territoire guinéen et que le commandement soit guinéen ». Lansana Conté était un militaire, il savait ce qu’est une force d’interposition. Ceux qui ont reçu le courrier, ont compris que c’était un non catégorique. C’était la seule phrase de la lettre? Non! Il y en avait plusieurs, mais c’était les termes clés. Nous sommes parvenus par nos propres moyens, par nos efforts, à sortir les rebelles du pays.
Quels ont été les impacts?
Tout ce qui devrait être consacré à la construction d’écoles, de centres de santé, de routes, ont été utilisés pour notre liberté. C’est au détriment du guinéen. Quand ces gens là veulent aujourd’hui qu’ils soient applaudis par les mêmes guinéens où qu’on leur donne des trophées, moi je me pose bien des questions. C’est aux guinéens de réagir.
Que vous inspire l’attitude du gouvernement actuel face à ces aveux des anciens militaires qui ont voulu déstabiliser la Guinée ?
Je pense qu’un gouvernement est mis en place par un président élu. Et un président est élu par des citoyens pour assurer leur sécurité et créer les conditions pour le développement du pays. Ce n’est pas à moi de lui dire ce qu’il doit faire. Il avait un projet de société qui parlait de sécurité physique et d’intégrité territoriale. Il a prêté serment autour de ça. Ce n’est pas à moi de lui dire ce qu’il doit faire et ce qu’il ne doit pas faire. C’est à tous les guinéens de tirer les leçons.
À la place d’Alpha Condé qu’auriez vous fait ?
Puisque je ne suis pas encore à sa place, attendez que je sois à sa place.
À un moment, vous étiez son conseiller. Quels sont vos rapports aujourd’hui ?
Je suis né guinéen avant d’être militant d’un parti. À ce titre, j’ai obligation de servir mon pays. Maintenant quant à nos relations, étant président de tous les guinéens, il est aussi mon président. Donc, ce sont des relations d’un gouvernant et d’un gouverné.
Il n’y a plus de rapport solennel entre vous ? Qu’est-ce que vous entendez par rapport solennel ?
Il ne m’a jamais déroulé le tapis rouge, ni fanfare à côté. Donc, C’est un président de la République. Il est dans son palais et il gouverne. Moi, je dirige mon parti. Nous n’avons pas les mêmes rôles. Lui, il s’occupe de tout le pays et moi je m’occupe de mes militants et sympathisants. Quelle lecture faites-vous de la gouvernance actuelle ?
C’est la lecture que tout le monde fait. Aucun gouvernement dans le monde ne peut satisfaire à cent pour cent les attentes de sa population. Ce qu’il peut c’est de leur donner l’espoir. Il est vrai qu’aujourd’hui les guinéens sont en train de perdre de l’espoir. Pourtant, il dit avoir fait plus que vous ?
J’entends par ci: « on a fait plus que les autres ». C’est au paradis qu’on trouve que tout est fait. Si on avait tout fait, on allait élire personne. Chacun de nous allait rester dans son paradis et faire ce qu’il veut.
C’est une partition où chacun fait ce qu’il peut faire. Puisque c’est une continuité, aujourd’hui on est en train de faire les baptêmes des enfants que nous avons acouchés. Ça veut dire qu’on a commencé et il continue. Conté est venu et il a ouvert le pays: multipartisme intégral, liberté d’expression, libre circulation de personnes et de leurs biens, la démocratisation, etc. Sékou Touré, c’est le père de l’indépendance. Il a fait ce qu’il a pu faire. Et Conté est venu faire ce qu’il a pu faire. Ne mettez pas à l’eau tout ce qu’il a fait. Aujourd’hui, on est en train de faire ce qu’on peut faire. Mais il y a aussi de bon et de mauvais côté qui est en train de se faire. Qu’on reconnaisse ce que les autres ont pu faire, demain d’autres jugerons aussi.
Pour vous, pas besoin de comparer les gestions d’hier et d’aujourd’hui ? Non, on compare toujours le bon du mauvais. Mais ce que je n’accepte pas, c’est de dire que l’autre qui m’a précédé n’a rien fait. S’il n’avait rien fait, on ne trouverait même pas où s’asseoir. Qu’on raconte tout ce qu’on veut, mais on lira correctement les pages de notre histoire. Aujourdhui, beaucoup d’anciens membres des gouvernements Conté sont soit dans l’opposition comme Cellou Dalein Diallo de l’Ufdg, Sidya Touré de l’Ufr, Lansana Kouyaté du Pedn ou dans la mouvance présidentielle. C’est le cas notamment du Premier ministre Kassory Fofana et du ministre Kiridi Bangoura.
Qu’est-ce que cela vous inspire ? Quand Conté est venu, il a dit d’abord bipartisme, les guinéens ont dit non « on veut une ouverture totale »
On est allé avec le multipartisme intégral. Vous pensez que moi, son héritier, je vais empêcher les autres d’adhérer à un parti? Je vous dis non!, ce n’est pas mon problème. Moi, je reste fidèle à Conté et à son héritage. J’ai travaillé avec lui et j’assume. Les autres n’assument donc pas? Chacun est libre d’aller là où il veut. Chacun a son opinion et moi je suis là, je ne juge personne. On dit: « faites et laissez dire ».
Quels sont vos rapports avec l’actuel Premier ministre ?
C’est un frère et il y a de très bons rapports entre nous. Je n’ai de contentieux avec personne. Tous sont mes frères et amis. Ce n’est pas un combat d’épées, mais un combat d’idées. Ce ne sont pas des ennemis. C’est qu’on ne partage pas la même idéologie et on n’a pas la même préoccupation. Quand je sors ici et que je rencontre le Premier ministre je l’embrasse tout comme Cellou, Sidya et tous les autres. Quel est votre commentaire sur l’opération de déguerpissement en cours à Kaporo Rails?
Je refuse qu’on politise l’affaire Kaporo-rails. Tous les Etats du monde ont leurs réserves foncières. Les gens parlent, mais n’ont pas lu les textes. Ce n’est pas seulement Kapororails. Si on sort le décret dont le ministre de l’Aménagement du territoire Ibrahima Kourouma a évoqué, les guinéens seront surpris. Il y a d’autres zones qui sont des réserves de l’État y compris les emprises des routes. C’est dans le même décret. Il avait été dit dans ce décret que tous ceux qui n’avaient pas investi avant avril 1988 de ne pas le faire et que s’ils le font c’est à leurs risques et périls. Mais on a toujours politisé ce problème de Kapororails. Quand le problème s’était posé dans les années 97 et 98, on avait politisé. Ceux qui tiraient à bout portant contre le système, sont aujourd’hui dans le même problème. Quand un politicien doit parler, il doit faire attention. C’est valable pour ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Il n’y a pas ce que les partis d’opposition, le Rpg d’Alpha Condé, l’Unr de Ba Mamadou etc., n’avaient pas dit contre le régime Conté.
Sur le fond, l’État est dans son droit. Je souhaite qu’on dépolitise ce débat.
Vous pensez que ça ne me fait pas mal, en tant que citoyen, de voir un frère passer la nuit dehors avec ses effets?
Ça fait très mal à tout citoyen. Ça, c’est le côté social. Mais il faut voir aussi le côté administratif et juridique.
De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer des velléités anti-constitutionnelles pour octroyer un 3e mandat à Alpha Condé. Qu’en pensezvous ?
Moi, je n’ai pas vu un communiqué dans ce sens. Donc, je mets cela au compte des rumeurs. Je sais une seule chose, présentement il y a une Constitution qui verouille le nombre de mandats. Je sais que cette Constitution est encore en vigueur, point.
Au cas où ces rumeurs devenaient réalités ? Au cas où?, au cas où, vous vous retrouverez à Kassa tout à l’heure.
Comment se porte votre parti le Pup ?
Le Pup se porte bien et on n’a pas de problème. Nous nous organisons comme tous les autres et nous nous battons pour récupérer.
Vous saviez que le Pup de 1992 à la mort du feu général Lansana Conté était un très grand parti majoritaire à l’Assemblée nationale. Le fait est qu’il a perdu sa position, mais il reste un grand parti. Les militants existent, nous cherchons à nous organiser pour faire revenir tous les militants et sympathisants du parti.
Quel a été le facteur principal de la chute de votre parti ?
Quand le père fondateur a été rappelé à Dieu, les héritiers n’ont pas pu s’organiser à temps comme tant d’autres partis, pas seulement en Guinée. La multitude de partis sur le terrain a fait que certains sont allés à gauche, d’autres à droite. Mais, ils sont en train de revenir. Quels ont été les résultats aux élections communales pour le PUP ?
Les résultats sont très encourageants. Il y a eu des élections. Mais est-ce que vous êtes sûr que ce sont les vrais résultats qui ont été publiés ? Que s’est-il passé par la suite?
On a fait un an et cela explique tout. À date, le Pup n’a gagné que Bissikirima (Dabola, Ndlr).
Comment préparez-vous les législatives dans ces conditions ? On dit: « qui veut voyager loin, ménage sa monture ». Nous nous organisons à partir de la base pour reconquérir l’électorat. C’est ce que nous sommes en train de faire.
Quelle est la position du Pup dans le paysage politique guinéen actuellement ? Nous sommes de l’opposition. Ou bien vous voulez que je dise autre chose aujourd’hui? (…) J’appelle mes militants à être des guinéens tout court. Le Pup c’est le Parti d’unité et du progrès, un parti national. Il faut que nous soyons unis. On ne peut pas progresser sans l’unité. Chaque fois qu’un guinéen se présente quelque part, on lui demande sa nationalité. Personne n’a sur sa carte d’identité malinké, soussou, forestier, peul. Alors pourquoi se taper la poitrine : « je suis, je suis » ? Je demande à mes militants d’accepter tout le monde, de se tenir et de combattre le sousdéveloppement, la mauvaise gouvernance et tous les maux dont souffre le pays. Tous unis, nous serons forts !.
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