Camp Boiro : Témoignage d’un rescapé

 

 

 

A l’occasion du 43ème anniversaire des pendus du 25 janvier 1971, Abass Bah, rescapé du Camp Boiro, parle des conditions de son arrestation, de sa vice carcérale, des exécutions faites le 25 janvier 1971 et celles du 18 octobre de la même année. Témoignage !
« Je suis arrêté en 1971, précisément à l’aéroport de Conakry. J’allais pour une mission sur le fleuve Niger à Kankan et à Bamako, accompagné des experts des Nations unies qui étaient venus aider la Guinée à installer un système automatique d’annonce de crues. J’avais un ordre de mission, qui était une formalité, signé d’Ismaël Touré. J’attendais qu’on appelle les gens à l’embarquement, puis je vois un gendarme qui me demande si c’est moi Abass Bah. Je lui ai dit oui, c’est moi. Il m’a dit : ‘’vous ne voyagez plus’’. Je lui ai dit ah, mais j’ai un ordre de mission signé d’Ismael Touré, qui était un manitou à l’époque. Il m’a dit que je ne voyage plus. Et puis il m’a mis dans le bureau de gendarmerie de l’aéroport. Il m’a mis les menottes. Mon père était là. Lui aussi il prenait l’avion pour Labé. D’habitude quand on se sépare, mon papa et moi, on s’embrassait. Quand il a voulu m’embrasser, je l’ai retenu en lui disant que je suis en état d’arrestation. Il est retombé dans le fauteuil. C’est la dernière image que j’ai eue de lui. De là on m’a amené à la gendarmerie où je suis resté une semaine. Un des secrétaires de Siaka, Oularé, est venu me chercher lundi matin pour me déposer au camp Boiro dans la cellule n°22. Naturellement, ils m’ont déshabillé. Quand on m’a mis dans la cellule, j’ai entendu l’équipe écrire sur la porte quelque chose après avoir fermé à clé. Je suis resté 5 jours je ne vois pas d’eau, je ne vois pas à manger. Je suis resté 8 jours sans manger ni boire. Le matin du 9ème jour qu’on est venu m’apporter du quinqueliba brûlant pour me dire qu’on avait mis fin à la diète complète et que je suis dorénavant soumis à une demi diète. C’est-à-dire que je mange un repas par deux jours. On a continué comme ça. Je pensais qu’on m’aurait appelé à une commission, qu’on m’aurait confronté à quelqu’un ou me poser des questions. Ça ne venait pas. J’ai insisté, j’ai crié contre les gardes pour dire que je voudrais bien rencontrer quelqu’un qui me pose des questions. J’ai attendu deux mois et demi, puis un matin on est venu me chercher. Je suis allé devant une commission dont le président était mon ancien professeur de philosophie, s’il vous plaît. Ils m’ont donné un questionnaire écrit sur un papier, il y avait 16 questions. On m’avait demandé de reconnaitre toutes ces questions. Je lui ai dit que je ne peux pas répondre à ces questions parce que je n’en sais rien du tout, et que je ne peux pas signer un tel papier dans la mesure où cela consisterait à me condamner à mort moi-même. Alors il m’a dit : ‘’si tu ne signes pas avec moi tu signeras avec une autre commission’’. Ils ont insisté, ça n’a pas marché. Naturellement, des agents de l’armée sont venus me prendre pour m’amener dans une cabine qu’on appelait cabine technique. J’étais avec Soumah Tiguidanké qui était gouverneur de la région de Fria, et puis Diawara Ibrahima qui était ingénieur architecte qui raccommodait un peu le palais de Sékou Touré. On nous a torturés.
Quand moi j’étais dans le pneu, le téléphone de campagne branché sur toutes mes parties sensibles, eux ils étaient, soit agenoués sur les bouchons de bouteilles, soit en train de pomper. Et on s’échangeait comme ça. A un moment donné, Diawara Ibrahima m’a dit : ‘’écoute Bah, tu as lu le Procès de Prague ?’’. Je lui ai répondu oui. Il m’a dit alors ‘’on va signer sinon ils vont nous tuer ici’’. J’ai accepté de signer le papier. Tout est parti de là. Le président de la commission a demandé à quelqu’un qui était là, son adjoint, de rédiger une déposition pour moi. Alors on est resté à rédiger la déposition, au moment du contrôle, quand j’ai lu, le président de la commission a dit : ‘’mais on ne peut pas lui faire dire ces choses’’. Parce qu’on avait demandé de dénoncer Dr Achkar. J’avais 24 ans supposé. On m’avait demandé de dénoncer Conté Saidou, Dr Achkar, Diallo Siradiou, capitaine Diallo, etc. Lui-même il s’est fâché, il a dit : ‘’mais non, il faut lui rédiger une déposition à sa mesure pour que ça puisse paraître vrai’’.

Il m’a renvoyé dans ma cellule et on m’a ramené le lendemain la nuit, parce que tout se passe la nuit normalement. Et là, il a lu pour moi une déposition. Son souhait était que je dénonce tous mes camarades qui étaient en ville Conakry. Mais, Dieu m’a donné la chance. Je lui ai dit non, comme c’est moi qui recrutais, c’est moi qui les payais, je vais les dénoncer moi-même. Il a dit d’accord on fait comme ça. Alors j’ai dénoncé des gens qui étaient en France, aux Etats-Unis, en Suisse, etc. C’est qu’au moins je savais que Sékou n’aurait mis la main sur eux. Donc j’étais seul dans mon affaire, ça a marché. Et cette lecture a permis à tout le monde de savoir que c’était du faux. D’abord les gens me connaissaient, ensuite aucun de tous ceux que j’ai dénoncés n’étaient à Conakry.
Ismael Touré qui était de passage a demandé si c’est moi Costa (on m’appelle comme ça). Mamady Koita lui a dit oui. Il a dit ‘’il n’a qu’à choisir dans quelle ville on va le pendre, parce que comme ça il va servir d’exemple à la jeunesse’’. Je lui ai répondit : ‘’Ah, notre vie, la mienne et la vôtre, est entre les mains de Dieu. Il en décidera comme il en voudra. Quand j’ai fini de faire ma déposition qu’on enregistrait, j’ai dit au professeur Mamady Koita: ‘’vous m’avez appris la recherche de la vérité selon la théorie de Kant. Je me souviens très bien de ce cours. Mais là vous me montrez une autre méthode pour trouver la vérité’’. Il était gêné et a demandé au garde de m’enlever là et de me renvoyer dans ma cellule. Depuis ce jour, on ne s’est plus revus.
Je suis donc resté deux ans à Boiro. A un moment donné je crois qu’ils ont décidé de libérer dont moi. Parce que les gardes même disaient ‘’toi, je ne sais pas pourquoi tu es là ? Tu es tellement jeune. Ce sont les vieux-là qui ont des affaires avec Sékou.’’ Et ceci les amenait à me sortir pour balayer la cour. Donc ça me donnait un peu de l’air frais. Ensuite je pouvais ramasser des mégots de cigarette que je distribuais sous la porte à mes camarades. Et j’étais au courant de ce qui se passe chaque jour. J’avais l’avantage, après avoir fini de balayer, on m’amenait à la douche à l’école de la ville. Et ils me donnaient après la douche 1 l de café sans sucre. Ça c’était comme la miséricorde au moment du paradis parce que le prisonnier avait 1 l d’eau par 24 heures. On le lui servait à 17h, il n’avait de l’eau que le lendemain à 17h. Alors tout ce que tu pouvais faire avec l’eau, c’était avec ce litre. Ah, moi j’avais l’avantage d’avoir ce deuxième litre sans sucre. Ce qui me permettait de boire alors. Donc je suis resté deux ans à Boiro. Ils ont décidé de libérer un certain nombre, mais comme on était un peu maigres ils ont décidé de nous ramener à Kindia pour nous retaper un peu. Ils nous ont amenés là, mais pendant qu’on nous retapait ils ont changé de nom. Je suis resté 5 ans à Kindia. Et nous étions 129 dans la même salle. Là, Peulhs Soussous, Forestiers et Malinkés mourraient. La mort ne connaissait pas de nom. D’ailleurs on n’avait pas de nom, on avait des numéros. Moi, j’avais le n°22 depuis 71. C’est le jour de ma libération que j’ai perdu le numéro. On m’a appelé par mon nom pour me sortir et me ramener à Conakry puis me libérer. Un matin, un gendarme m’a dit Abass Bah. On ne m’avait jamais appelé comme ça depuis 71. Ah, j’ai pu dire à mes camarades que je ne dormirais pas en prison ce jour-là. Ils m’ont demandé qui m’a dit ça. J’ai dit qu’on m’a toujours appelé 22, et si on m’appelle maintenant par mon nom, ça veut dire que ma condition va changer. Et il m’a embarqué pour Conakry. Siaka qui m’a ramené chez mon frère en ville.

Alors, pendant ce temps d’exécution, ils exécutaient les gens selon la haine qu’ils ont contre eux, parce qu’ils formaient des agents et il y en a qui les devançaient. Ils s’avéraient donc dangereux et naturellement il fallait s’en débarrasser. Je me souviens, le 18 octobre. On est venu le matin, on appelle personne mais on regarde les gens. On les a fait sortir de cette cellule et on les a parqués dans un endroit du bloc. Ils sont venus avec des ficelles, coupées deux mètres, deux mètres. Tout le monde était inquiet. Personne ne pouvait imaginer ce qui pouvait arriver. Un agent m’a dit que je balayais là où les gardent viennent passer la nuit ils vont exécuter certains ce jour-là. Naturellement j’ai diffusé l’information sur le bas de la porte qui était scellée. Effectivement, ce soir-là, ils sont venus avec un camion. Ils ont attaché ces gens-là, on pouvait entendre leur râlement. On les jetait dans les camions et on a entendu le camion partir. Ils ne sont plus revenus. Et ce 18 octobre c’est quoi ? C’est l’anniversaire de Houphouët Boigny. Sékou Touré, c’était de mourir après Houphouet. Les fétiches lui ont dit qu’il faut tuer un certain nombre de personnes qui ont occupé des postes de commandement le jour de l’anniversaire de Houphouet Boigny. C’est la raison qui a fait qu’on a exécuté ces gens-là, les exécuter à Conakry, à Kindia et à Kankan. Dès qu’on vous arrête on vous fait des photos d’identité. Ces photos sont renversées. Comme ils ne savent pas à quelle condamnation on peut condamner, ils ont mis les photos à l’envers. Ils disent que ceux dont les photos se trouvent à droite sont condamnés à mort et à gauche à perpétuité. C’est comme ça ils ont décidé du sort des gens le 25 janvier dans la nuit. Il y avait beaucoup d’exécutions ».

Par BAH Alhassane

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