Arrivé au pouvoir en
2010, le président guinéen, qui vient d’appeler à des élections législatives et
à un référendum constitutionnel le 22 mars, n’écarte pas la possibilité de se
présenter à un troisième mandat.
Alpha Condé : «Je n’ai de comptes à rendre qu’au peuple de Guinée»
Le compte à rebours a
commencé. En Guinée, une date a finalement été fixée pour la tenue du double
scrutin, contesté par l’opposition, couplant élections législatives et
référendum constitutionnel. Par décret lu à la radio nationale, le président de
la République, Alpha Condé, a entériné la date du 22 mars.
Peu avant, une mission
d’experts dépêchée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (Cedeao) avait rendu ses conclusions. Elle recommande le retrait de
près de 2 millions et demi d’électeurs, enregistrés sans pièce justificative,
soit environ un tiers des fichiers électoraux. Il reste cependant moins d’une
semaine pour appliquer cette recommandation. Un délai qui ne permettra pas de
recommencer l’enrôlement ou de distribuer de nouvelles cartes d’électeurs.
Beaucoup
d’observateurs craignent que le résultat tienne du bricolage plutôt que d’une
volonté d’organiser un scrutin crédible. Si le «oui» au référendum pour
l’adoption d’une nouvelle Constitution l’emporte, cela ouvrira la voie au chef
de l’Etat pour briguer un troisième mandat lors de la présidentielle prévue en
octobre 2020, ce que ne lui permet pas la législation actuelle. Interviewé par
Libération, Alpha Condé défend son bilan et laisse planer le doute sur son
désir de rester au pouvoir.
Après avoir été longtemps dans l’opposition, vous êtes arrivé au pouvoir en 2010. Qu’avez-vous accompli depuis ?
Quand je vois le
gouffre où nous étions, par rapport à nous sommes maintenant… Nous avons
réformé l’armée, le code minier, nous relançons l’agrobusiness, le secteur de
l’énergie aussi. La priorité était de résoudre les problèmes macroéconomiques.
Mais ceux-ci ne changent pas l’assiette de la ménagère. Je suis allé dans les
villages, j’ai vu la pauvreté. C’est pour ça que nous avons décidé désormais de
redistribuer 15% des revenus miniers aux sous-préfectures. Malheureusement, il
y a eu Ebola, pendant deux ans et demi. Malgré cela, nous avons eu une
progression économique, qui est actuellement à plus de 6%. Bien sûr, il y a
encore des gens pauvres. Mais en France aussi ! On ne peut pas me demander de
transformer en huit ans [Alpha Condé estime que les deux années où la Guinée a
été touchée par l’épidémie d’Ebola ont été «perdues», ndlr], ce qui n’a pas été
fait en cinquante ans.
Comment avez-vous
accueilli les critiques de la Cedeao et de l’Union africaine, qui ont retiré
leurs missions d’observation, estimant visiblement qu’en l’état actuel, le
scrutin ne pouvait pas être crédible ?
La critique est
initialement venue de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Or l’organisation n’était pas venue pour faire de l’audit, mais pour nous
accompagner dans le processus. L’OIF a ainsi créé le doute sur le fichier
électoral. Mais à partir du moment où il y a un doute, il est normal que
j’accepte que la Cedeao envoie des experts pour le lever. Ceux-ci sont venus et
ont fait des propositions à la Commission électorale indépendante (Céni), que
celle-ci a acceptées. Je n’ai aucun problème avec la Cedeao, ni avec l’Union
africaine. Je suis panafricain. Je ne prends pas ça comme une ingérence. Mais
je suis élu par le peuple de Guinée. Je n’ai de comptes à rendre qu’au peuple
de Guinée.
Ce scrutin est
critiqué. Il a été boycotté par les deux principaux candidats d’opposition…
Ils ont décidé de
boycotter, c’est leur problème. Il y a des lois en Guinée pour aller aux
élections. Nous ne faisons qu’appliquer la loi.
Le président ivoirien,
Alassane Ouattara, a annoncé récemment qu’il ne briguerait pas un troisième
mandat. Avez-vous l’intention de faire de même ?
Mais lui-même a fait
une nouvelle Constitution ! Alors pourquoi me pose-t-on la question à moi ? Et
puis chaque pays a ses réalités. Est-ce qu’il n’y a pas beaucoup de présidents
en Afrique qui ont fait plus de trois mandats ? Ici, l’opposition, ce sont les
anciens gestionnaires, les anciens Premiers ministres, qui ont gouverné le
pays. Et on sait dans quelle situation ils l’ont mis. Alassane Ouattara avait
lui-même dit qu’il n’allait pas laisser le pays à ceux qui l’avaient mal géré.
Cela veut dire que vous comptez être candidat à la présidentielle ?
Pour le moment, je
veux doter le pays d’une Constitution moderne. C’est ça, mon objectif. Lorsque
viendra le moment de l’élection présidentielle, les partis seront libres de
présenter les candidats qu’ils veulent.
Vous n’excluez donc pas la possibilité d’un troisième mandat ?
Je ne sais pas d’où
vient cette obsession sur le troisième mandat en Guinée, quand vous avez des
chefs d’Etat africains qui ont fait quatre ou cinq mandats et qui sont
chouchoutés. C’est une démocratie à géométrie variable. Et la démocratie, ce
n’est pas nécessairement l’alternance. On a vu dans beaucoup de pays ce que ça
a donné. Même en France, jusqu’après Jacques Chirac, il n’y avait pas de
limitation de mandats. Est-ce que ça veut dire que la France n’était pas une
démocratie ? J’ai été opposant pendant quarante-deux ans, j’ai été condamné à
mort, j’ai fait de la prison. Je n’ai jamais cédé, et je n’ai jamais utilisé la
violence. Pendant tout ce temps, nous n’avons pas jeté une pierre. Aujourd’hui,
l’opposition casse les voitures, les maisons… Je n’ai de leçon de démocratie à
recevoir de personne. Et je ne vois pas ce qu’il y a de plus démocratique qu’un
référendum.
Patricia Huon Envoyée spéciale à Conakry pour la Libération