Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste s’est penché sur le fait que le président tarde encore à annoncer les couleurs. Comme s’il était confronté à un choix cornélien. L’épilogue du bras de fer judiciaire entre l’honorable Damaro Camara et les magistrats est aussi passé au crible dans cette chronique « croustillante ».
Talibé Barry: Bonjour Mamadou Dian. Dans votre
chronique de ce matin, vous vous mettez
un peu dans la tête du président, confronté selon vous à un choix cornélien ?
Mamadou Dian Baldé : On s’attendait à ce que le
président de la République révèle enfin son projet au grand jour à la faveur de
la cérémonie de lancement des travaux de l’an 61 des festivités de
l’indépendance. Mais le locataire du palais sekouthouréah continue de faire
durer le suspense.
À Kindia, Alpha Condé est venu, il a vu mais il
s’est gardé d’annoncer la couleur. En guise de réponse à l’appel lancé par les
organisateurs de ce meeting géant au stade Fodé Fissa, en faveur d’une
modification de la constitution, le chef de l’État a servi la même rengaine que
lors de ses précédentes sorties. « Je vous ai écouté, je vais donc vous
répondre. Il faut que tout le monde comprenne que ce que le peuple veut,
personne ne peut arrêter ça », tel fut donc le discours sibyllin tenu par le
président à Kindia.
À la satisfaction des promoteurs d’une continuité
dans la gouvernance actuelle.
Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Le
président de la République, pour légitimer ses ambitions, dit s’en remettre à
la volonté populaire.
Il s’agit là d’une technique bien rodée, dans la
rhétorique populiste qui se construit autour du
« peuple ». On n’en a pas encore fini avec les séquelles de la première
République dont le président disait agir en symbiose avec son peuple.
La suite on la connaît avec le fameux camp de
concentration Mamadou Boiro et ses victimes. C’est un peu la mise en pratique
de la formule attribuée à tort ou à raison à Louis XIV qui disait : « l’État
c’est moi ». Au même moment où le chef de l’État communiait avec son peuple au
stade, une partie de ce même peuple se récriait dans les rues de Kindia contre
un éventuel changement constitutionnel.
Organisée par le FNDC, cette manifestation anti
troisième mandat s’était soldée par l’arrestation de 7 opposants au fameux
projet.
Leur condamnation au terme d’un procès jugé
expéditif, a suscité l’émoi jusqu’au sein du parquet général, qui a pris fait
et cause pour les opposants, appelant à un pouvoir en cassation du verdict.
Un geste hautement salué par l’opinion. Même si une
hirondelle ne fait pas le printemps. Nous sommes finalement dans un contexte où
le peuple qui n’emboucherait pas la même trompette que celle du parti au
pouvoir, est mené à la baguette, s’offusque l’opposition, tandis que l’autre
peuple bénéficierait lui, de la brosse à reliure. Sauf qu’il ne sert à rien
d’enfouir la tête sous le sable et nier la réalité.
Pour le moment, c’est comme si Alpha Condé est
confronté à un choix cornélien qui est celui de garder la manette au-delà de
2020 ou de tourner définitivement la page, en acceptant de prendre sa retraite.
La duplicité de l’UDG
Pour vous l’Union démocratique de Guinée (UDG) ne
jouerait pas franc jeu avec ses alliés, notamment l’Union des forces
démocratiques de Guinée (UFDG), dans le combat contre le 3ème mandat. Vous en
avez pour preuve la récente sortie du maire de Kindia qui s’en est fait le
chantre en Basse Guinée ?
Mamadouba Bangoura s’est arrogé la qualité de
porte-parole des maires de la basse Guinée, en exaltant le président Alpha
Condé, lors de cet événement qui a tenu le public en haleine.
L’occasion été opportune pour le maire de renouveler tout son attachement et son
soutien au chef de l’État pour le projet de modification constitutionnelle,
devenu si cher au parti au pouvoir.
Un discours désavoué par son parti l’UDG de Mamadou
Sylla, qui l’a aussitôt convoqué à un entretien disciplinaire, à son siège de
Conakry. Mais pour les détracteurs de cette formation politique, la direction
de l’UDG fait juste semblant d’être gêné aux entournures, quand on sait que
leader se réclame de l’opposition républicaine. Même si sa proximité avec
l’UFDG ne l’a pas empêché de faire la courte échelle au RPG-ARC-EN-CIEL, pour
barrer le chemin à Abdoulaye Bah, vainqueur du scrutin. Ce dernier s’était vu
rétoquer pour sa rigidité. D’où cette duplicité qu’on prête au parti de Mamadou
Sylla.
Quant au maire de Kindia, certains de ses collègues
l’ont démenti. Se disant surpris désagréablement par les propos de l’édile, en
faveur d’une modification constitutionnelle. Le maire qui a choisi de se mettre
de l’autre côté du manche, fait la sourde oreille. Le vieil homme n’a pas eu
une once de regret pour son acte.
Pire, il a dit que si cela était à refaire, il le
referait. Du coup, quand il demande aux membres du FNDC de se tenir loin de sa
localité, cela vaut son pesant.
Damaro versus magistrats: un « mal pour un bien »
Le bras de fer entre l’honorable Damaro Camara et
l’association des magistrats continue encore d’alimenter les débats dans la
cité. Vous êtes de ceux qui pensent que cela va servir de déclic pour réveiller
notre système judiciaire, tant décrié ?
Amadou Damaro Camara ne passera pas sous les
fourches caudines des magistrats. Du moins pas pour cette fois. Suite au refus
opposé par le parlement de lever l’immunité parlementaire du président de la
majorité présidentielle. Les députés, solidarité oblige, ont préféré se serrer
les coudes, que de livrer leur collègue aux griffes des robes noires, qui
avaient juré de lui faire payer pour son discours impudent à leur endroit.
Le député avait, il faut le rappeler, mis à l’index
des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire. C’était suite à
l’interpellation des présumés auteurs de la casse perpétrée à Banankoro, dans
la préfecture de Kerouané, sur des engins de l’entreprise Guiter SA, entraînant
d’énormes pertes.
Damaro en tant que fils de la région et hiérarque
du parti au pouvoir, avait été mis à contribution, afin d’obtenir la libération
des prévenus. Dont le doyen de la localité, soupçonné d’être le cerveau de
l’opération.
Suite à la sortie du président du groupe
parlementaire de la majorité présidentielle, l’Association des Magistrats avait
vu rouge. S’en suivra alors une plainte auprès du TPI de Kaloum contre Amadou
Damaro Camara pour « diffamation, outrage à magistrats, abus de fonction,
atteinte à l’autorité de la justice… »
Et comme on le voit in fine, la démarche n’a pas
prospéré. Ce qui constitue un camouflet pour nos magistrats, qui se sont fendus
aussitôt d’une déclaration. Déclaration dans laquelle, ils jurent de laver
l’affront qui leur a été fait. Car « cette dénonciation et la malveillance des
propos des uns et des autres, ont un effet de réarmement moral, qui ne
permettra plus la réédition des décisions du genre de celle récente du tribunal
de Kindia », peut-on lire dans la déclaration.
L’épilogue de cette passe d’armes entre Damaro et
l’Association des Magistrats, au-delà de la passion qu’elle a engendrée, ne doit être qu’un « mal pour un bien ». Si
on en croit en tout cas les magistrats qui annoncent la fin du petit doigt sur
la couture du pantalon.
Amadou Damaro lui n’en a cure. Car au lieu de faire
acte de contrition, l’honorable député a plutôt fait une remarque au ministre
de la justice, qui a l’air d’une mise en garde.
Le message est clair: « Ce serait un risque de
s’attaquer au patron de la majorité qui vous soutient.»
Cela s’appelle simplement se tenir par la
barbichette.