Tribune : Dix questions essentielles relatives à l’enseignement supérieur et à la plate forme Djoliba (Par Fodé Bangaly Soumah)

Ce jeune guinéen vivant au canada et expert dans les sciences de l’éducation, n’hésite pas de porter un regard critique autour de la création de la plate forme Djoliba. Une initiative de l’enseignement supérieur sous l’égide des Directions nationales et du Bureau des stratégies et développement du MESRS, l’UGANC dans le but de servir comme ultime présentation du guide de l’étudiant. En principe cet outil devrait servir une plate forme qui reflète les réalités de l’enseignement supérieur en Guinée, afin de simplifier les démarches de la préinscription dans les institutions d’enseignement, publiques ou privées ainsi que dans les établissements techniques et de la formation professionnelle, en regroupant sur un seul site l’ensemble des formations post-baccalauréat. Mais malheureusement il y a eu du vrai marchandage de la part des concepteurs de cette plate forme. Surtout en ce qui concerne leur système de quotas, qui est en priori préétabli selon les intérêts des clans, qui s’y se trouvent présentement dans le système éducatif de notre pays. Une pratique qui dénature le niveau de nos étudiants, et ces derniers ne seront pas compétitifs dans le marché d’emploi. Ces dix questions essentielles constituent un véritable réquisitoire écrasant qui démontre les failles de l’enseignement supérieur en Guinée, des clans qui préfèrent privilégier les pots-de-vin au détriment de l’ambition du président de la république. Nldr.

Lisez in extenso la tribune intégrale autour de ces dix questions relatives à l’enseignement superieur et à la plate forme Djoliba

Question n°1 : l’existence des universités et écoles privées est elle justifiée en Guinée ?
La Guinée comme tous les pays africains, à l’exception des pays pétroliers, ne peut trouver suffisamment de ressources financières pour satisfaire la demande d’infrastructures générée par l’augmentation de la population scolaire et estudiantine. C’est pourquoi en Cote d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Maroc, en Tunisie comme au Burkina ou en Guinée l’émergence d’un secteur privé dans l’enseignement supérieur est une nécessité et une réalité. En 1999 la première université a commencé les cours en Guinée. Ce phénomène est relativement nouveau dans l’espace francophone alors que dans le monde anglo-saxon toutes les grandes universités comme Harvard, Princeton ont toujours été privées.
En 2006, le Gouvernement guinéen a institué les bourses d’étude c’est à dire payer des frais d’écolage aux universités privées pour certains étudiants bacheliers. Il s’agissait de répondre à la pénurie des infrastructures des universités publiques et faire face à l’explosion des bacheliers.
Question n°2 : les coûts sont ils exorbitants pour l’Etat ?
En moyenne le coût payé par l’Etat est de 4 millions de FG par étudiant et par an soit le plus bas en Afrique de l’Ouest. A titre de comparaison ce prix est l’équivalent de 10 à 15 millions de FG au Sénégal. Les études de médecine constituent l’exception notable puisqu’elles coutent 2 000 dollars en Guinée contre 10 000 dollars à Dakar. Tous ces chiffres sont facilement vérifiables.
Question 3 : quel est l’objectif de tous les acteurs de l’enseignement supérieur en Guinée ?

L’objectif partagé par les acteurs (gouvernement, parents d’étudiants, universités publiques et privées) est l’amélioration du niveau des étudiants en Guinée pour qu’ils soient compétitifs à l’échelle africaine et mondiale.
Question 4 : comment avons nous autorisé trop d’universités privées ?
Parce que l’Etat n’a pas défini les critères d’autorisation à savoir 1) la qualification du Fondateur promoteur, 2) l’accréditation des programmes à enseigner 3) la présentation des locaux appropriés 4) les dossiers des enseignants qualifiés et 5) les procédures d’évaluation. Cette anarchie dans la délivrance des autorisations a même provoqué des situations incongrues où des fondateurs d’universités sont totalement illettrés !
Question 5 : pourquoi la prolifération d’universités privées en Guinée est une mauvaise situation ?
Nous avons 39 universités privées agréées en Guinée pour une population de bacheliers de 26 000 dont 5 500 orientés dans ces universités privées ; ce qui donne en moyenne 141 étudiants par université. Or une petite université qui inscrit moins de 500 étudiants par an avec une dizaine de filières ne peut avoir suffisamment d’argent pour engager des bons professeurs, de construire des infrastructures appropriées et de supporter des charges d’équipements (bureaux, laboratoires, ordinateurs, internet, électricité, dépenses de fonctionnement etc…). Pour simplifier une petite université n’a aucun moyen de donner des bons cours donc ne peut permettre d’atteindre l’objectif de bonne formation de jeunes indispensable à la réalisation du progrès de la Nation. C’est la raison pour la quelle même les autorités déplorent la multiplicité des petites universités privées. Dans le passé, les critères de compétences et de qualification des fondateurs ou des critères d’infrastructures et d’équipements n’ont pas été respectés par les autorités d’alors de l’enseignement supérieur qui ont délivré ces autorisations.
Question 6 : comment alors réduire alors le nombre d’universités privées ?
Si tout le monde est d’accord qu’une petite université ne peut être performante alors il faut réduire le nombre des universités pour atteindre l’objectif partagé d’amélioration du niveau des études supérieures en Guinée. Mais comment le faire dans l’équité, la justice et la transparence ? Il existe deux approches :
1) La solution autoritaire lorsque l’Etat sur la base d’une évaluation objective d’experts nationaux ou internationaux ferme les mauvaises universités. Cette solution la plus communément suggérée et qui peut être mise en œuvre dans certains pays n’est pas réellement applicable en Guinée. Elle ne l’est pas à cause des charges émotionnelles et symboliques liées à la fermeture d’une école par une autorité politique dans un pays divisé en clans, en ethnies et en groupes politiques partisans.
2) La solution du marché lorsque l’Etat donne la liberté aux étudiants de s’inscrire dans l’université de leur choix. En organisant la concurrence entre les acteurs privés, l’Etat ne prend pas partie et laisse l’arbitrage aux étudiants et à leurs parents. Les étudiants étant les meilleurs évaluateurs puisqu’il s’agit de leur propre avenir, font des choix éclairés. Au bout de ce processus et après quelques années les meilleures universités émergent et les plus mauvaises disparaissent faute d’étudiants qui acceptent de les intégrer. Cette solution est plus acceptable car moins partisane et plus juste. Elle est politiquement acceptable car le gouvernement ne peut être accusé ni de favoriser ni de défavoriser qui que ce soit.
Question 7 : comment les étudiants étaient ils orientés dans les universités jusqu’à maintenant ?
Depuis 2008 le Gouvernement guinéen a été bien avisé de choisir la solution de la liberté des étudiants et du marché pour corriger ses propres erreurs et réduire le nombre d’universités. Le Ministère de l’Enseignement supérieur orientait en deux étapes. Dans une première étape les bacheliers sont divisés en deux groupes après un questionnaire d’orientation dans lequel ils exprimaient leurs choix : deux tiers des nouveaux bacheliers étaient orientés dans les universités publiques et un tiers étaient orientés dans les institutions privés. Dans une deuxième étape, les étudiants orientés dans le secteur privé s’inscrivaient librement dans l’université de leur choix. Cette politique a été réaffirmée par le gouvernement actuel.
C’est pourquoi aujourd’hui en Guinée, les meilleures universités ont grossi pour atteindre des tailles permettant d’améliorer leurs prestations et même d’importer des professeurs étrangers pour des missions d’enseignement. Les mauvaises universités n’ont pas pu évoluer et la plupart d’entre elles sont en fait déjà fermées. Certaines d’entre elles sont des coquilles vides sans étudiants et ne survivent plus qu’au niveau des contrats. Quant elles ne peuvent inscrire que 10 ou 20 étudiants, elles les envoient en location dans les universités qui marchent moyennant le partage des gains. Malheureusement avec la complicité des fonctionnaires du Ministère, ces universités n’ont pas été formellement fermées par un arrêté ministériel.
Question 8 : la nouvelle plate forme informatique Djoliba est elle bonne ou mauvaise ?
Djoliba comme tous les logiciels informatiques vise à améliorer la performance du processus d’orientation. Un logiciel n’est qu’une suite d’instructions données à la machine. Si ces instructions sont tronquées ou cachées par les commanditaires ou les concepteurs aux utilisateurs alors le logiciel n’est pas transparent. En outre les résultats peuvent être contraires aux objectifs proclamés. C’est exactement le cas de Djoliba. Jugez par vous mêmes les éléments suivants :
1) les concepteurs disent que les étudiants choisissent librement leur orientation mais qu’ils sont orientés en fonction de leurs moyennes. Or sur les 26 000 bacheliers orientés cette année, au moins 15 000 ne sont pas satisfaits de leur orientation. En effet, ils ont mis sur la plateforme aussi bien les universités privées que publiques. Ce faisant ils ont mis en compétition les universités et publiques et privées au lieu de faire en deux étapes étant entendues que l’écrasante majorité des étudiants vont choisir d’abord le privé. Or les privées ne bénéficient que de 5 500 places.
2) Si vous êtes familiers avec les mathématiques vous savez que demander à un bachelier de faire 15 choix revient purement et simplement à choisir à sa place.
3) La compétition entre les universités privées est tronquée puisque le logiciel n’a pas considéré les capacités d’accueil communiquées par les universités. Ils ont introduit des quotas par filière, quotas définis unilatéralement par les informaticiens. Par exemple une université a dégagé une capacité de 200 étudiants en médecine, 100 en pharmacie et 200 en ingénierie. Le logiciel a retenu des quotas respectivement de 50 en médecine, 50 en pharmacie et 40 en ingénierie. Après les responsables déclarent que le logiciel est une œuvre collective alors que les universités n’ont même pas été informées des quotas et n’ont pas accès libre à la plateforme en temps réel.
En conclusion un logiciel n’est ni bon ni mauvais en soi. La performance dépend de l’atteinte des objectifs convenus sur la base des hypothèses partagées.
Question 9 : quels sont les inconvénients de Djoliba actuel ?
Nous pensons que le logiciel Djoliba pourrait améliorer le contrôle des effectifs à conditions d’être moins opaque. Il faut absolument éviter les quotas et revenir aux capacités d’accueil communiquées par les universités privées. Cela permettrait de restaurer la concurrence entre les universités, améliorer la qualité des prestations au bénéfice des étudiants et du pays. La charge financière est la même pour l’état quelque soit le nombre d’universités.
Les quotas introduits dans le logiciel ont pour conséquence de faire revivre les universités moribondes et augmenter le nombre d’universités encore plus. Plus grave, le système est un encouragement à la corruption et au marchandage étudiants contre les prébendes.
Enfin le système actuel ne permet pas de libre choix pour les étudiants. Le taux de mécontentement exprimé pourrait déboucher sur des contestations des étudiants et des parents à un moment où on a besoin de paix et de stabilité politique.

Question 10 : est-ce la corruption qui est la motivation de certains acteurs ?
Nous savons par expérience que tous les systèmes de quotas sont des porteurs de virus de la corruption dans tous les domaines. Comment peut on expliquer autrement la volonté manifeste de mettre des quotas qui vont générer beaucoup de petites universités qui vont-elles dispenser de la mauvaise formation préjudiciable à la nation ?

Fodé Bangaly Soumah

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