Que sont devenus les orchestres nationaux du premier régime ?

 

Après le régime de feu Ahmed Sékou Touré, nombreux sont les orchestres nationaux qui sont laissés pour compte. Notre reporter a rencontré Papa Kouyaté, le célèbre batteur de l’orchestre national Kèlètigui et ses tambourinis. Dans cette interview, il nous parle de la création de de cet orchestre, du soutien de l’ancien régime aux orchestres nationaux, le droit d’auteur guinéen…

soleilfmguinée : Dites-nous comment l’orchestre Kèlètigui et ses tambourini a vu le jour ?

Papa Kouyaté : Cet orchestre a été créé au début de l’indépendance de la Guinée, en ce temps je n’étais pas membre. Je suis venu dans l’orchestre en 1966 comme batteur. Mais tous les albums, à part un seul, près de 15 à 16 morceaux, c’est moi qui les aie joués. Donc, si l’orchestre a eu le disque d’or, c’est parce que les morceaux ont été joués  par moi.

Pouvez-vous nous donner la composition de cet orchestre à l’époque ?

A l’époque, l’orchestre était  composé par son chef Keletigui lui-même, Kerfala Camara, Bignet Doumbouyah, Mafila Kanté Dabadougou, Zica Kaba à la batterie, M’Bemba à la basse, Momo Wandel à la flute, Sékou Condé à la guitare, Lenké Condé actuelle chef d’orchestre et moi-même à la toumba, percussion et batterie à la fois. Parmi les noms que je viens de citer, presque tout le monde est décédé, il ne reste que deux personnes. A savoir Lenké Condé, le guitariste et moi Papa Kouyaté.

Durant son parcours est-ce que l’orchestre a eu des trophées ?

Il a eu le disque, mais sachez que moi, j’ai eu aussi plusieurs trophées. Vous pouvez compter jusqu’à une trentaine. Le premier trophée que j’ai eu c’était en Europe en 1980, j’étais sacre meilleur  percussionniste africain.

Quelle a été la perception du public guinéen quand Keletigui et ses tambourinis jouaient à l’époque ?

L’orchestre Keletigui était un orchestre très modeste, très vivant, qui faisait des interprétations sur scène. Il jouait la musique guinéenne. Et les arrangements étaient excellents, parce qu’on avait à faire avec un chef d’orchestre qui était excellent aussi, un grand musicien comme Keletigui qui était difficile à comparer à un autre.

Comment les répétions se faisaient à l’époque ?

Vous venez de tomber sur moi tout de suite, nous sommes en pleine répétition avec l’orchestre Keletigui international, c’est comme ça que nous travaillons aussi à l’époque. C’est-à-dire nous, nous jouons la musique traditionnelle sans enlever l’âme, c’est ce qui manque aujourd’hui aux jeunes artistes. Parce qu’ils sont en train de faire autres choses qui ne sont pas la musique guinéenne. C’est-à-dire on n’ajoute pas l’âme de la tradition exactement. Les gens jouent n’importe comment et n’importe quoi selon leurs voeux.

A l’époque quels ont été vos rapports avec les autres orchestres nationaux ?

Tous les groupes étaient des orchestres nationaux, donc il y avait la concurrence, mais pas la concurrence méchante comme aujourd’hui tout le monde veut grimper pour se faire de l’argent. Avant, il y avait l’émulation, chacun cherchait à travailler comme Keletigui, et keletigui veut faire comme Balla, et Balla veut travailler comme Bembeya Jazz. Donc tous les groupes cherchaient à faire l’émulation. Il y avait les quinzaines artistiques, qui doivent d’ailleurs reprendre grâce à l’arrivée du tout nouveau ministre de la culture. Je pense bien qu’on organisera le festival national, tous ceux-ci pour développer la culture guinéenne. Parce que le poumon d’un pays c’est sa culture qui se trouve  l’imagination du peuple. C’est ce qu’on traduit, que ce soit le Malinké, le Forestier ou Soussou, chacun de nous joue la culture à sa façon. Donc quand on regroupe le tout,  ça devient de la culture et c’est ce qui donne émancipe et éduque les jeunes. Ça instruit même les gouvernants car quand ça ne va pas dans un pays, les artistes peuvent dénoncer pour amener le pouvoir à prendre des dispositions.

A l’époque peut-on savoir les relations entre le feu Ahmed Sékou Touré et l’orchestre Keletigui ?

Au temps d’Ahmed Sékou Touré ce n’était pas seulement  l’orchestre Keletigui, mais c’est tous les orchestres, et tous les artistes guinéens qui avaient une considération absolue de la part du Président. Parce qu’il avait compris que la culture est le poumon d’un pays. Quand il y’a la culture on ne parle pas de guerre.  Mais, aujourd’hui où on peut jouer ? Les gens ont fini de vendre tout, ils ont fait des boutiques, des magasins, donc la Guinée est devenue comme Doubai. Chacun cherche un coin pour faire des hôtels, alors si on ne s’amuse pas dans un pays, à 20 heures, chacun se couche, ce n’est pas bon. Il faut des lieux de divertissement, où on peut parler de la culture. Quand on quitte le travail, il faut qu’on ait un lieu pour écouter les instruments traditionnels, ou la musique. La musique est le médicament du peuple.

Aujourd’hui, le constat est que vous venez de mettre en place un orchestre. Pouvez nous parler de cet orchestre ?

Non, il n’y a aucune différence, c’est le même orchestre, seulement Keletigui ne vit plus, c’est pourquoi nous avions dit Kelètigui international. Mais quand nous jouons à la Paillotte ou n’importe quel lieu, nous jouons sous la tutelle de Keletigui. Hier c’était Keletigui et ses tambourinis, aujourd’hui nous avons grandi et nous sommes devenus des internationaux. Nous trouvons un autre esprit à l’orchestre Keletigui. Donc, c’est en ce sens  que j’ai eu l’imagination de créer cet orchestre.

On constate que les gouvernements qui se sont succédé après le premier régime accordent peu d’intérêt à la culture guinéenne. Qu’en dites-vous ?

Ça dépend de ceux qui pensent ainsi, moi je ne le pense pas comme ça. Vous savez là où il y a eu l’erreur, au cours du deuxième régime, il y avait des gens qui ont cassé les patrimoines culturels. Ils disaient que ce sont des orchestres qui flattaient Sékou Touré, c’est-à-dire, ils ont tué la musique guinéenne. C’est une vérité, ils avaient abandonné la culture sans aucune considération. C’est pourquoi nous sommes dans cet état-là. Mais à ce jour   comme il y a un jeune à la tête du ministère de la culture, bientôt les quinzaines artistiques vont reprendre. Si ce gouvernement aide le ministère de la culture en lui donnant des moyens, qui à son tour met des moyens à la disposition des artistes, j’espère qu’ils pourront pousser la culture guinéenne, mais sans les moyens on ne peut pas avancer. Et aujourd’hui, il y’a des artistes qui ont fait seulement deux ans dans la musique, et ils sont décoré de médaille pour rien, ils n’ont rien fait pour la musique guinéenne, c’est ce qui blesse. Donc, je crois que nous attendons le nouveau ministre qui vient de s’installer, parce que pour le moment on ne peut pas dire qu’il est bien ou non, mais on attend les actes qu’il va poser. Mais je crois bien que cette année ou l’année qui va suivre, la culture guinéenne se fera du chemin. Parce que ce n’est pas un problème d’homme, la culture est universelle. Elle donne la vie au peuple. Mais ce que je regrette aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de journalistes culturels, il n’y’a que de journalistes politiques. Si vous ouvrez les radios le matin, vous trouverez qu’elles traitent  toutes des sujets  politique, aucune de ces radios ne parlent de la culture. Il faut que nous dénoncions ça ensemble. Pourtant la culture ne parle que de la paix, l’unité et de la vie de la nation. Donc, si on se met seulement à parler de la politique, on est en train de mettre du feu dans le pays.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le droit d’auteur Guinéen ?

Au point de vue droit d’auteur, actuellement je ne sais même pas si c’est 500 milles francs guinéens.  C’est pour vous dire que chacun tire le drap sur lui-même en Guinée. C’est-à-dire comme nous, nous  n’avons pas été de  grands intellectuels, tout le monde nous a pionné. Mais il va arriver un moment où nous allons déballer ce qui se passe, parce qu’il faut que chacun dit ce qui s’est passé dans la réalité pour que nous soyons sérieux. Nous allons laisser l’argent et tout, chacun va laisser son nom et l’histoire de ce qu’il a fait pour ce pays-là. Parce qu’on va tous mourir et laisser tout dernière nous.

Quel message adressé vous aux autorités ?

Je crois qu’avec l’installation du nouveau ministre, peut-être nous allons avoir des instruments. Avant nous étions des fonctionnaires d’Etat et aujourd’hui nous ne travaillons pas, le Président de la République va penser à nous. Ils nous ont donné des dancings, mais ces dancings ne rapportent rien. Nous ne jouerons pas, nous n’avons pas d’instruments. Le feu Président Ahmed Sékou Touré avait pris un décret, pour donner le jardin 2 Octobre à Balla et ses baladins, la paillotte à l’orchestre Keletigui et ses tambourinis, le club bembeya au Bembeya Jazz, la minière, c’est pour Horoya band.  Mais vous voyez aujourd’hui comment les choses se passent, ça fait pitié, et tous les grands artistes sont en train de mourir sans gain. Et ne laissent rien pour leurs familles. Regardez même les anciens footballeurs, c’est le même constat, chacun met le problème au niveau politique.

Propos recueillis par Alpha Camara (avec soleilfmguinee.net)

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