Mountaga Keïta, ce jeune Guinéen , PDG de Tulip Industries qui digitalise l’Afrique profonde

Celui qui digitalise l’Afrique profonde Fonceur, rêveur, obstiné, Mountaga Keïta est tout cela à la fois. À 41 ans, ce Guinéen est l’inventeur du premier ordinateur debout, sous forme de kiosque, de l’Afrique subsaharienne. Et surtout, il croit à l’avenir du continent.

À Dakar, Seydou Ka

Il était la vedette lors de la semaine du numérique en Guinée, le 17 avril, après la présentation de son invention, un kiosque internet, qui, considère-t-il, consacre « l’entrée de la Guinée dans l’ère technologique ». Pour autant, Mountaga Keïta refuse les comparaisons hâtives. « Steve Jobs n’a copié personne, il a été lui-même, Mountaga Keïta, avec Tulip, c’est Mountaga Keïta », réagit-il, en parlant de lui à la troisième personne, à une comparaison qui semblait pourtant flatteuse avec le fondateur d’Apple.

Issu d’une famille de quatre enfants – il est le troisième dans l’ordre – Mountaga a grandi dans un environnement aisé. Son père, docteur en chimie quantique, évoluant dans la recherche pétrolière, et sa mère, chef d’entreprise, appartiennent à la classe moyenne guinéenne. Lorsque ce père revenait de ses voyages internationaux, il ramenait avec lui des magazines Science et Vie qui « passionnaient » le jeune Mountaga dont les yeux « pétillaient » à la vue des galaxies, des comètes, des télescopes. Tout est parti de là ! « Je suis né avec un tournevis dans la main, j’ai toujours été dans le petit bricolage. »

De Harvard à Conakry

Ce « fils de » semblait donc avoir un destin tout tracé. En 1990, il quitte sa « chère » Guinée, à l’âge de treize ans, pour poursuivre ses études secondaires dans un internat en France. Après son bac, il entame un cursus de droit à l’université Paris-Descartes. Il décide de rentrer au pays au début des années 2000. Pour mieux repartir ! Aux États-Unis cette fois-ci, précisément dans le Maryland, où il change totalement de filière, obtenant au passage deux Masters, dont un MBA. Homme pressé, il a « tout condensé en deux ans – pour un cursus de quatre ans normalement – afin de terminer le plus rapidement possible ».

Il entame alors une carrière de banquier à Washington, sans réelle stabilité, changeant régulièrement d’établissement. Entre 2004 et 2012, il fréquente tour à tour, la Bank of America, la BB&T et la SunTrust qui, aime-t-il préciser, a la formule de Coca- Cola dans ses coffres-forts à Atlanta. Lorsqu’il démissionne de cette banque, c’est pour intégrer la très réputée Faculté de droit de l’université de Harvard « parce que, reconnaît-il, j’avais toujours cette fibre d’études en droit », et pour repartir avec un diplôme en négociation et en résolution des conflits.

Suivre sa voie

En 2007, lorsque la crise financière éclate, de nouveau il raccroche tout, plie bagages et rentre en Guinée. « J’ai compris que le futur c’était en Afrique. Tous les continents étaient en crise, sauf l’Afrique parce que la crise fait partie de notre oxygène et donc on ne peut que remonter la pente».

Si le père, fervent panafricaniste, soutient cette décision, la maman, « qui voyait ma belle vie aux États-Unis », était contre. Pour beaucoup de parents en Afrique, un fils immigré, avec un salaire régulier et bien garni, est plus qu’un gage de réussite sociale. Pour avoir été « prisonnier » de cette situation, Mountaga, lui-même marié et père de deux enfants, a un conseil aux jeunes entrepreneurs africains : « Vos familles ou vos proches vous pousseront vers ce qui vous apporte de l’argent le plus vite, tel que le commerce, ou à intégrer une grande société internationale. Pour eux, c’est la sécurité financière d’abord. Mon conseil est qu’il faut foncer vers la libre entreprise, prendre des risques et surtout être obstiné ou téméraire en quelque sorte pour réussir. Sinon vous risquerez de vieillir avec des regrets».

Des regrets, Mountaga Keïta a décidé de ne pas en avoir. Recruté par une grosse société de shipping, à son retour en Guinée, un « autre univers » qui n’était pas vraiment le sien, où il ne se sentait « pas à l’aise », il travaille parallèlement sur un projet personnel, y consacrant toute son énergie créatrice : « Je restais souvent devant mon ordinateur jusqu’à 2 heures du matin. »

Un ordinateur debout

L’homme a toujours rêvé d’inventer « quelque chose qui ferait pétiller les yeux des gens ». Depuis 2012, il travaille au développement de Tulip Industries, qu’il a fondée à Conakry, et dans laquelle il a investi 1,5 million de dollars ; l’entreprise est spécialisée dans la production de kiosques internet utilisable par les universités, les écoles, les mairies, les commerces, la régie publicitaire, etc.

Dénommée borne Tenor, un « ordinateur debout », cette technologie, qui intègre les langues nationales, est dotée de « toutes les fonctionnalités » : un écran tactile, un ordinateur aussi puissant que les derniers laptops, un onduleur qui peut tenir deux à trois jours sans charge, une imprimante thermique, etc. « Le kiosque peut rester sous la pluie, sans aucun souci, parce qu’il est conçu comme un véhicule ; tout est hermétique, mais la dalle est tactile».

Avec cette invention, Mountaga Keïta espère avoir trouvé la solution pour « digitaliser l’Afrique profonde », avec une technologie qui lui est adaptée. « Je ne cherche pas à être milliardaire, mais à avoir un impact tel que les milliards tombent », précise-t-il. Et il est convaincu de ses atouts pour « dominer » le marché africain, puisque les ordinateurs importés sont « bons pour les bureaux mais pas pour usage public ».

« L’Afrique va très bien »

Afro-optimiste jusqu’au bout des ongles, Mountaga Keïta dit vivre les meilleurs moments de sa vie dans l’entrepreneuriat africain. « Nulle part au monde je n’aurais pu être aussi heureux comme je le suis actuellement, après 23 ans à l’étranger », répète celui qui se « sent plus en sécurité » en Guinée qu’à Washington. « L’Afrique va très bien, elle vit une histoire incroyablement positive, beaucoup plus paisible que celles de l’Europe ou de l’Amérique lors de leur construction, mais nous sommes trop pressés, et quand on est pressé, on est forcément frustré », martèle-t-il, invitant les jeunes Africains à rester sur le continent.

Tout au plus reconnaît-il quelques « petits problèmes ». Si ce n’est pas de l’idéalisme… Qu’importe ! Pour Mountaga Keïta, l’Afrique doit emprunter sa propre direction, différente de celle des Occidentaux ou des Asiatiques. Et surtout, aller à son rythme. « On a besoin de leurs composants, bien sûr, comme ils ont besoin de notre coltan et de notre aluminium, de notre bauxite, mais on doit emprunter notre propre chemin ».

Avec https://magazinedelafrique.com/

Laisser un commentaire

Démarrer le chat
Actuguinee.org
Avez - vous une information à partager?
Besoin d'un renseignement?
Contacter Actuguinee.org sur WhatsApp