Histoire : quand la CIA faisait les quatre cents coups en Afrique( Nouvelles révélations)

Lumumba, Neto, Mandela… Jugeant ces trois leaders trop « communistes » et donc éminemment dangereux, les États-Unis les combattirent farouchement. Par des moyens fort peu recommandables. Nouvelles révélations

«Madiba a été le dernier grand libérateur du XXe siècle. » Ce 10 décembre 2013, dans le FNB Stadium de Soweto, Barack Obama ne tarit pas d’éloges sur Nelson Mandela, décédé cinq jours plus tôt. Tous deux ont un point commun : chacun dans son pays a été le premier homme de couleur à accéder à la magistrature suprême. Une consécration doublement improbable, ainsi que le rappelait le même jour le président américain : « Comme l’Afrique du Sud, les États-Unis ont dû surmonter des siècles d’assujettissement racial. »

Jusqu’en 2008, pourtant, le nom de Nelson Mandela, ennemi abhorré des États-Unis avant de se voir sanctifié post mortem, a figuré sur la liste noire des terroristes établie par le Département d’État.

Cinquante et un ans plus tôt, en août 1962, Barack Obama venait de souffler sa première bougie. Nelson Mandela, lui, militait depuis près de vingt ans à l’ANC, dont l’objectif était d’abolir l’apartheid. En 1960, le mouvement avait été interdit. L’année suivante, constatant l’échec de sa stratégie de la non-violence, Mandela fondait Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC, qui allait mener des actions de sabotage contre diverses infrastructures publiques et militaires.

 Hors d’URSS, Mandela était considéré comme le communiste le plus dangereux !

Face au régime afrikaner, Mandela prône alors l’alliance entre nationalistes noirs et militants blancs du Parti communiste sud-africain, tout en se tournant vers les pays socialistes, Union soviétique en tête, pour financer sa lutte contre l’apartheid. Pour les États-Unis, qui entretiennent des relations fructueuses avec Pretoria, leur principal fournisseur d’uranium, il devient l’homme à abattre.

« Hors d’URSS, c’était le communiste le plus dangereux », résumait en mars 2016, deux semaines avant de pousser son dernier soupir, l’Américain Donald « Don » Rickard, 88 ans, par qui le scandale est arrivé. En août 1962, Rickard était officiellement agent consulaire à Durban – une couverture pour cet honorable correspondant de la CIA. Grâce à des informateurs introduits dans l’entourage de Madiba, il apprend que ce dernier s’apprête à effectuer une mission entre Johannesburg et Durban.

Disposant d’un faux passeport éthiopien au nom de David Motsamayi, Mandela compte se faire passer pour le chauffeur d’un Blanc aisé qui lui sert d’alibi, Cecil Williams, un activiste gay engagé dans la lutte antiapartheid.

Comment Mandela a été capturé

« J’ai découvert quand il viendrait [à Durban] et comment il y viendrait… C’est à partir de là que j’ai été impliqué et que Mandela a été capturé », confiait Rickard au réalisateur britannique John Irvin, dans le cadre d’un biopic en préparation, Mandela’s Gun, qui revient sur les années de lutte armée du futur président sud-africain. Un scénario évoqué depuis 1990, fondé sur le témoignage d’une source anonyme proche de Paul Eckel, l’ancien chef de station de la CIA à Pretoria.

En août 1962, ce dernier se serait confié en ces termes : « Nous avons livré Mandela aux services de sécurité sud-africains. Nous leur avons donné tous les détails […]. C’est l’un de nos plus jolis coups ! »

Au crépuscule de sa vie, Don Rickard a fini par reconnaître son rôle personnel dans cette arrestation qui allait aboutir à la condamnation à la réclusion à perpétuité de Mandela, en 1964. « Il aurait pu déclencher une guerre en Afrique du Sud », estimait, sans états d’âme, l’ancien agent, avant de conclure : « J’ai mis un terme à cela. » Ce n’est que vingt-sept ans plus tard que le leader emblématique de la lutte contre l’apartheid allait recouvrer la liberté.

Selon Zizi Kodwa, le porte-parole de l’ANC, les révélations du Sunday Times sur le témoignage de Rickard « confirment ce que nous avons toujours su : qu’ils [les services secrets américains] travaillent contre nous, et c’est encore le cas aujourd’hui ». Les tentatives visant à obtenir la déclassification des archives relatives à la collaboration de la CIA avec le régime de l’apartheid sont jusque-là demeurées vaines.

« La CIA et moi allions sauver le monde du communisme », déclare Don Rickard.

La carte Savimbi

Don Rickard n’est pas le premier vétéran à dévoiler les coulisses des opérations de l’agence de Langley sur le continent durant la guerre froide. Dès 1978, John Stockwell faisait paraître aux États-Unis In Search of Enemies: a CIA Story. Entré à la CIA en 1964, l’auteur a servi en Afrique pendant douze ans, de la Côte d’Ivoire à l’Angola en passant par la RD Congo et le Burundi.

« La CIA et moi allions sauver le monde du communisme », écrit-il pour résumer l’état d’esprit qui l’animait alors. Mais, au fil des opérations clandestines, son enthousiasme s’est émoussé. Dans son livre, John Stockwell revient en particulier sur le soutien que l’Agence apporta, en Angola, à l’Unita de Jonas Savimbi face au MPLA d’Agostinho Neto et José Eduardo dos Santos.

Les seconds se revendiquaient du marxisme-léninisme et bénéficiaient du soutien de l’Union soviétique et de Cuba. Savimbi, lui, se proclamait anticommuniste et fut soutenu par les États-Unis, l’Afrique du Sud de l’apartheid et les puissances occidentales en général.

La guerre civile angolaise durera vingt-sept années, au terme desquelles le MPLA finira par s’imposer. Elle provoquera quelque 500 000 victimes, 1 million de déplacés et laissera un pays exsangue, aux infrastructures détruites, infesté de mines antipersonnel. Selon Stockwell, les États-Unis portent une lourde responsabilité dans l’escalade du conflit. Deux ans après sa démission, qu’il remit en 1976, il préconisait la dissolution pure et simple des services clandestins de l’Agence, selon lui « incompatibles avec notre système de gouvernement ».

Au tour de Lumumba

C’est encore à un ancien agent devenu mémorialiste qu’on doit le récit détaillé de l’un des épisodes les plus marquants des opérations secrètes que mena la CIA au lendemain des indépendances africaines : la neutralisation de Patrice Lumumba, le charismatique Premier ministre congolais, au profit de Joseph-Désiré Mobutu, un officier ambitieux acquis à l’Occident.

Au cœur du dispositif de la CIA au Congo, de 1960 à 1967 : Lawrence « Larry » Devlin. En 2007, dans Chief of Station, Congo: Fighting the Cold War in a Hot Zone, ce dernier levait le voile sur les manœuvres de l’Agence visant à écarter Lumumba du pouvoir.

Soutenu par divers pays socialistes, Lumumba est vu par les États-Unis comme un homme dangereux, voué à basculer dans le camp du mal.

En juillet 1960, lorsqu’il devient le chef d’antenne de la CIA dans un Congo fraîchement indépendant, Devlin dispose d’une couverture classique, celle d’un banal consul. Le pays, qui dispose de ressources minières faisant l’objet de toutes les convoitises, semble au bord de l’implosion. Du Katanga au Kasaï, les mouvements sécessionnistes prolifèrent. Dans un contexte d’extrême tension avec l’ancienne puissance coloniale, Patrice Lumumba – qui partage le pouvoir avec le président Joseph Kasa-Vubu – rompt les relations diplomatiques avec la Belgique et menace d’appeler en renfort l’Union soviétique.

Soutenu par divers pays socialistes, de la Chine au Ghana, le fondateur du Mouvement national congolais est vu par les États-Unis comme un homme dangereux, voué à basculer dans le camp du mal. « Tôt ou tard, Moscou prendra les rênes, écrit Larry Devlin dans un câble adressé à Langley. Lumumba croit pouvoir manipuler les Soviétiques, alors que ce sont eux qui tirent les ficelles ». Allen Dulles, le directeur de la CIA, lui répondra personnellement : « Son départ doit donc être pour vous un objectif prioritaire et urgent. »

L’agent déploie alors tout l’arsenal classique des opérations tordues. Disposant d’un budget (fort important pour l’époque) de 100 000 dollars, il organise des actions de contestation contre Lumumba, cherche à isoler ce dernier politiquement, incite Kasa-Vubu à le démettre. Mais l’indocile Premier ministre s’accroche à son siège. Décision est donc prise d’employer les grands moyens.

En septembre 1960, tandis qu’il patiente dans l’antichambre du président Kasa-Vubu, Devlin voit débouler un colonel d’à peine 30 ans, Joseph-Désiré Mobutu, que Lumumba a nommé chef d’état-major. Brandissant la menace d’une imminente invasion soviétique, l’officier va droit au but : « L’armée est prête à renverser Lumumba […]. Puis-je considérer que les États-Unis nous soutiennent ? » La CIA vient de trouver son supplétif. Au mémo que Devlin adresse à Langley pour rendre compte de son plan, Allen Dulles répondra : « J’ai confiance en vous. »

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Dès septembre 1960, Mobutu tente un premier coup d’État. Lumumba est arrêté, mais la légitimité fait défaut au nouveau régime, tandis que le Premier ministre déchu bénéficie de la protection de l’ONU et du soutien d’une partie de l’armée. Un certain Joe de Paris, débarqué de Langley, présente alors à Devlin une pharmacopée empoisonnée destinée à éliminer physiquement Lumumba. Mais « Larry », pas convaincu, estime préférable de laisser les Congolais sceller son sort.

Le 17 janvier 1961, Mobutu livre Patrice Lumumba à son ennemi juré, le leader katangais Moïse Tshombe. Un peloton commandé par un officier belge l’exécute le soir même. Il faudra quatre années supplémentaires au chef d’état-major pour s’emparer du pouvoir, en novembre 1965. Mobutu n’a pas demandé la bénédiction de Washington, mais la CIA, obligée de prendre le train en marche, le soutiendra pendant trente ans, fermant les yeux sur ses dérives. Il faudra attendre 2014 pour que le Département d’État reconnaisse officiellement l’implication des États-Unis dans le renversement et l’assassinat de Lumumba.

À l’heure de quitter le Congo, en juin 1967, le chef de station de la CIA avait reçu la visite de Mobutu. L’homme à la toque léopard lui offrit ce jour-là un portrait le représentant, orné d’une dédicace aussi flatteuse qu’éloquente : « À mon excellent et vieil ami L. Devlin, pour tout ce que le Congo et son chef lui doivent. »

Lu sur jeuneafrique.com

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