Grâce présidentielle de Dadis Camara :Mamadi Doumbouya a-t-il ouvert la boîte de Pandore ?
http://Actuguinee.org / Le vendredi 28 mars 2025, la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara, ancien président de la République de Guinée et condamné à vingt ans de prison pour sa responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009, a secoué le pays. Gracié « pour raisons de santé » par le général Mamadi Doumbouya, cet acte a ouvert un vaste champ de débats, révélant les fractures profondes de notre nation. Doumbouya s’est-il engagé dans un chemin de réconciliation ou, sans le vouloir, a-t-il dénoué le fil d’une histoire déjà tragique et pleine de blessures ?
Certains saluent cet acte comme un signe de réconciliation nationale, à l’image du modèle sud-africain, où la justice s’accompagne du pardon. Pour eux, la grâce ne constitue pas une négation de la justice, mais plutôt un moyen de tourner la page et d’ouvrir un chemin vers la paix. Est-ce là un véritable acte de sagesse, cherchant à apaiser les rancœurs de notre histoire, à guérir les blessures de notre peuple, et à empêcher que la vengeance ne se transforme en une haine persistante et dévastatrice ? L’annonce d’une indemnisation pour les victimes du 28 septembre, aussi significative soit-elle, est-elle vraiment un remède suffisant aux souffrances profondes de l’âme nationale ? Ou ne s’agit-il là que d’une promesse fragile, lancée dans un contexte incertain, risquant de laisser encore plus de cicatrices que de solutions ?
Mais pour d’autres, cette décision révèle une autre facette, plus sombre, de la politique. En libérant Dadis, Doumbouya aurait-il cédé à une logique purement politique ? N’y a-t-il pas derrière ce geste un calcul visant à conquérir une part importante de l’opinion publique, notamment en Guinée Forestière, où Dadis conserve un fort soutien populaire ? En tendant la main à ses partisans, Doumbouya chercherait-il à renforcer son pouvoir et à capitaliser sur une loyauté forgée par les épreuves du passé ? Dans un contexte politique où chaque geste est scruté et analysé, peut-on réellement croire que la volonté de réconciliation prime sur des manœuvres stratégiques ?
La politique guinéenne, à l’image d’une partie d’échecs, est en perpétuelle évolution. Chaque décision, chaque mouvement, peut redéfinir le paysage et changer les rapports de force. En libérant Dadis, Doumbouya a ouvert une nouvelle ère, où la mémoire des événements passés, les ressentiments et la quête de réhabilitation s’entrechoqueront dans un tourbillon d’intérêts contradictoires. L’histoire, lourde de ses cicatrices, ne s’efface pas facilement. Peut-on réellement pardonner lorsque les stigmates du passé sont encore aussi frais et lorsque la réhabilitation d’un acteur de ce passé semble aussi inévitable que précipitée ?
Pour les victimes du massacre du 28 septembre, cette grâce pourrait apparaître comme une trahison supplémentaire. Pendant des années, elles ont espéré une justice pleine et entière. Elles ont attendu que les responsables de cette tragédie soient jugés et condamnés. Aujourd’hui, elles assistent à une réécriture de l’histoire, comme si leurs souffrances n’étaient que des ombres à oublier. En libérant Dadis, ne risquons-nous pas d’assister à l’amnésie collective d’un peuple dont les cicatrices n’ont jamais cessé de saigner ? La réconciliation est-elle réellement possible lorsque le passé reste aussi douloureux, quand les blessures sont encore vives et ouvertes ?
Doumbouya semble prendre un risque politique majeur. En cherchant à ouvrir la porte de la réconciliation, il ouvre également celle de l’incertitude. En réhabilitant un ancien président, marqué par une ambition évidente et une soif de pouvoir toujours présente, il s’engage dans une danse périlleuse. Dadis, loin d’être un spectateur passif, pourrait-il redevenir un acteur central du jeu politique, capitalisant sur la situation pour reconstruire son pouvoir et ses ambitions ? Dans ce contexte, les cartes du pouvoir sont redistribuées, et la Guinée entre dans une nouvelle phase, où l’incertitude et la compétition politique risquent de définir les lendemains.
Le général Mamadi Doumbouya n’est plus le seul maître du jeu. En réintégrant un acteur majeur du passé, il redéfinit l’équilibre fragile qui prévalait jusque-là. Un autre nom refait surface, celui du général Sékouba Konaté, ancien président par intérim, clé de voûte de la transition post-2010. Ses relations avec Dadis, déjà marquées par des tensions, risquent d’être mises à l’épreuve dans cette nouvelle phase politique. L’issue de ce puzzle reste incertaine, et la Guinée se trouve à un tournant.
La grâce présidentielle, loin d’être un simple acte de clémence, semble ouvrir une boîte de Pandore. Les vieux démons du passé pourraient ressurgir, ravivant des tensions profondément enfouies. Doumbouya, en cherchant à apaiser les esprits, n’a-t-il pas mis à nu les contradictions de notre histoire ? La promesse de justice, un rêve nourri pendant des années par les Guinéens, est-elle en train de se dissoudre dans l’incertitude ?
À la question de savoir si cette grâce marquera le début d’une véritable réconciliation ou si elle ne sera qu’un simple calcul politique, la Guinée attend toujours une réponse. L’histoire de notre nation continue de se dessiner dans la douleur, les interrogations et l’incertitude. Un lion, enfermé et blessé, a-t-il réellement été dompté ? Ou avons-nous seulement ouvert la cage d’un prédateur qu’il sera difficile de maîtriser ?
La Guinée retient son souffle, attendant le prochain mouvement dans cette partie politique qui pourrait sceller son destin. Les décisions prises aujourd’hui façonneront le lendemain de notre nation, dans une quête de réconciliation, de vérité et de justice.

Ousmane Boh KABA