Ancien ministre de l’Economie et des finances, actuel député, le président du Parti des démocrates et de l’espoir (Pades) scrute l’actualité sociopolitique guinéenne.
En attenant de pouvoir le juger à la tâche, il accorde de crédit au nouveau Premier ministre en ce qui concerne la gestion du dialogue social et politique. Dr Ousmane Kaba (sur la photo) salue la lutte contre la corruption et l’assainissement, «bien que mal organisée», engagés par le nouveau gouvernement. Il craint toutefois qu’une éventuelle augmentation du prix du carburant à la pompe et de l’électricité ne provoque des troubles dans le pays.
Le Populaire : Vous avez reçu le Premier ministre Kassory Fofana. Sur quoi ont porté vos discussions ?
Dr Ousmane KABA : Le nouveau Premier ministre est venu chez nous dans le cadre d’une tournée qu’il fait auprès des partis politiques pour s’assurer de leur soutien. Dans un premier temps, les inviter à coopérer avec son gouvernement pour la solution des problèmes à la fois politique et économique qui se posent à la Guinée.
Nous sommes dans une période postélectorale. Il y a un dialogue qui a été ouvert avant l’arrivée de ce gouvernement. Donc, il va prendre le train en marche. Il souhaiterait que tous les partis politiques participent d’une manière constructive à ce dialogue politique qui a trait à la grande crise postélectorale que nous vivons aujourd’hui.
Comment nous allons sortir de cette crise?
Dr Ousmane KABA : C’est une question qu’il a posée et il a dit qu’il souhaiterait avoir la contribution des uns et des autres pour que cela puisse se faire dans l’ordre et la tranquillité. Je crois que c’est aux partis aussi de dire leurs points de vue.
Notamment, en ce qui concerne la transparence des élections parce que c’est un point fondamental. En plus, ça nous permet de nous projeter dans un avenir immédiat. C’est-à-dire, les élections législatives à venir qui devraient se tenir, soit à la fin de cette année ou pendant le premier trimestre 2019.
La démarche de Kassory vous rassure-t-elle?
Dr Ousmane KABA : Donnons-lui le crédit. Nous allons bien voir à la tâche qu’en est-il réellement. C’est tout à fait normal que nous lui accordions notre confiance pour le départ. Maintenant, le contenu des discussions, la manière dont cela va se passer, les conclusions auxquelles nous allons intervenir vont nous élucider sur le sérieux ou pas de cette demarche.
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement s’engage dans un dialogue. Mais il a toujours négligé l’application des conclusions. Pensez-vous que ça va marcher cette fois ?
Enfin, c’est la première fois que le gouvernement est conduit par Dr Kassory Fofana. (Rires). Donc, on verra. Je pense qu’il veut nous rassurer de son sérieux, mais nous allons le voir à la tâche.
Vous avez failli appartenir à ce gouvernement. Aujourd’hui, quelle est la position de votre parti dans le paysage politique guinéen?
Dr Ousmane KABA : Il faut distinguer les deux problèmes. En ce qui concerne l’entrée au gouvernement de M. Kassory, j’ai été sollicité pour occuper le ministère de l’Economie et des finances et éventuellement le Budget. J’avais sollicité que les deux ministères soient dirigés par une seule personne pour avoir un seul interlocuteur au sein du gouvernement. C’est qui est fondamental pour la crédibilité des négociations. Pour ce premier cas, nous avons décliné parce que le chef de l’Etat avait posé une condition supplémentaire qui était la fusion du parti Pades dans le Rpg Arc-en-ciel. Il vous souviendra que nous avons déjà fait une première fusion en 2012 avec le parti «Plus». Cela s’est très mal terminé puisque nous-mêmes, nous avons été exclus du Rpg Arc-en-ciel pour divergence d’opinions avec le chef de l’Etat. Il y a eu beaucoup d’autres problèmes à l’Assemblée nationale. Donc, il n’est plus question de refaire la même faute. Du reste, j’ai toujours pensé qu’on fait un gouvernement avec plusieurs partis pour refléter les différentes sensibilités. Mais cette manière de faire la politique en Guinée, qui consiste à vouloir fusionner les partis, est une innovation politique guinéenne qui n’est pas dans la démarche normale de la politique. Il y a certainement beaucoup d’arrière pensées, mais ce qui est sûr, nous avons dit non à notre entrée au gouvernement et à la fusion de notre parti, ça ne se fera pas !
Le Pades se réclame de quel bord politique?
D’abord, je dois dire que nous ne sommes pas de la mouvance présidentielle parce que nous avons des divergences de point de vue avec le gouvernement aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique jusqu’à présent. Donc, nous nous plaçons résolument dans l’opposition. Ceci dit, nous ne faisons pas partie non plus de l’opposition républicaine autour de l’Ufdg. Nous estimons que cette opposition a le droit de manifestions, mais nous déplorons qu’elles finissent par la violence. Ce qui n’est pas une bonne chose. Ceci dit, la responsabilité de l’Etat aussi est engagée dans ces violences. Nous allons être une opposition constructive qui encourage le gouvernement chaque fois que ses actions vont dans le sens du développement économique et dans le sens du renforcement de l’Etat des droits et de la démocratie. Chaque fois que nous savons que les sentiments défendus par le gouvernement ne correspondent pas à l’intérêt du peuple de Guinée, nous nous réservons aussi le droit de faire des critiques, mais aussi des propositions.
Quelle appréciation faites-vous du retard de l’installation des conseillers municipaux cinq mois après les élections communales?
Dr Ousmane KABA : Nous avons été l’une des plus grandes victimes de la fraude électorale massive organisée lors des dernières élections communales. Nous avons dénoncé, stigmatisé ce scrutin. Nous avons été les premiers à préconiser l’annulation des élections pour cause de fraude massive. Nous n’avons pas été écoutés et nous ne sommes pas du tout surpris que nous soyons dans l’impasse aujourd’hui parce qu’il faut s’assurer que les résultats d’une élection reflètent la volonté du peuple. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas.
Comment nous sortir de cette impasse ? Seul l’avenir nous le dira.
De quelle manière ? Je ne peux rien vous dire là-dessus. Moi, j’avais préconisé dès le départ une solution qui était radicale, mais qui avait au moins le mérite de la clarté: c’était d’annuler purement et simplement les élections et de les reprendre à cause de la profondeur et de l’étendue de la fraude autour du scrutin. Rien n’en a été. On a pensé qu’on pouvait trouver une solution au cours de ce dialogue avec quelques acteurs politiques. Aujourd’hui, je ne vois pas de solution. Il faut attendre pour voir sur quoi tout cela va déboucher.
Bientôt les élections législatives. Est-ce qu’il n’y a pas de risque de chamboulement de la situation politique?
Je vois que nous allons tout droit vers une situation difficile où il y a télescopage entre les deux élections, puisque les communales ne sont pas tout à fait achevées et on n’a pas pu encore installer les conseillers communaux.
De l’autre côté, il faut bien préparer les élections législatives puisque cette Assemblée arrive à la fin de sa législature. Il y a un véritable problème que vous et moi constatons sur le terrain politique. On va engager des discussions pour voir comment tout cela peut évoluer. Mais aujourd’hui, on est dans l’impasse.
Qu’en est-il de la loi sur la Ceni qui doit être adoptée à l’Assemblée nationale?
Dr Ousmane KABA : Cette loi n’a pas encore été présentée au Parlement. Et il faut une réforme de la Ceni, reprendre le fichier électoral pour inclure ceux qui ont l’âge de voter. Donc, il y a beaucoup de travail à faire. Pensez-vous qu’on puisse remplir toutes ces conditions avant les législatives? Le mandat des députés, normalement, devrait s’achever à la fin de l’année. Mais, comme certains députés sont en train de dire que le Parlement est entré en fonction un peu plus tard, je pense que la lecture pourrait nous envoyer dans le premier trimestre 2019, mais, nous avons de moins en moins le temps. Je suis inquiet.
Le Premier ministre doit passer au Parlement pour présenter la Politique générale de gouvernance. Sur quel pied vous l’attendez?
Dr Ousmane KABA : Nous sommes curieux de savoir quelles sont les grandes lignes de sa politique. Dans le domaine de la situation politique et sociale du pays, vous savez, l’ancien gouvernement avait négocié un programme de réforme économique avec les institutions de Bretton Woods dans lequel il y a beaucoup de mesures préalables qui risquent de déclencher une crise sociale. Il faut qu’il en parle! Dans le domaine de l’économie également, quel est son programme par rapport au projet de société qu’il a hérité et qu’est-ce qu’il entend faire également dans les différents domaines.
Devons nous donc nous préparer à une éventuelle hausse du prix du carburant à la pompe en juillet ?
Dr Ousmane KABA : Je ne connais pas la date, mais ça fait partie effectivement des mesures préalables. Puisque vous vous souvenez qu’il y a eu dérapage dans le programme en cours et qu’il y a eu renégociation pour remettre le programme sur les rails. Il y a un certain nombre de mesures.
Comme les négociateurs n’avaient pas confiance en l’équipe guinéenne, ils ont mis beaucoup de mesures préalables. Ceux qui sont familiers avec ce genre de programme, comme moi, nous savons que lorsqu’il y a beaucoup de mesures préalables, ça veut dire qu’il y a un manque de confiance entre les interlocuteurs.
Quelles sont les mesures préalables posées par les institutions de Bretton Woods?
Il y a plusieurs mesures, mais j’en retiens deux essentielles. Il s’agit de l’augmentation du prix du carburant de 25%. Ensuite, il s’agit d’augmenter le prix de l’électricité également. Voilà deux mesures qui sont très difficiles à mettre en œuvre, mais qui doivent être mises en œuvre avant le début du nouveau programme.
Le début du nouveau programme est prévu quand ?
Dr Ousmane KABA : Je n’en sais rien. Je n’ai pas participé aux négociations. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais que ça fait partie des mesures préalables qui ne sont pas faciles à mettre en œuvre. Une éventuelle augmentation du prix du carburant et de l’électricité risque de provoquer des troubles sociaux.
Est-ce que vous avez une solution?
Dr Ousmane KABA : Je n’ai pas de solution. Il revient au Premier ministre de présenter ça au peuple de Guinée, d’expliquer le contenu et discuter avec les différents acteurs. Ça, c’est le travail du nouveau Premier ministre et du nouveau gouvernement.
Le Premier ministre avait promis de lutter contre la corruption. Des cadres ont été suspendus pour malversations. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Dr Ousmane KABA : Il a commencé deux tâches gigantesques. C’est d’abord l’assainissement de la ville de Conakry qui est une lourde tâche parce que ça fait longtemps, le gouvernement est incapable de faire quelque chose là-dessus. Je ne suis pas sûr que ce soit bien organisé à la date d’aujourd’hui. Je pense qu’il faut beaucoup d’organisation et de financements de l’opération. La deuxième tâche, c’est la lutte contre la corruption. Un signal a été donné contre tous ces cadres qui dirigent les régies financières de l’Etat et qui passent à faire de la politique active avec l’argent public. Je pense que ce n’est qu’un début, il y a beaucoup d’autres. Nous devons faire cet assainissement financier tout en préservant la défense des uns et des autres puisqu’il ne faut pas non plus que ça soit une chasse aux sorcières. Il faut que les règles soient respectées en toute transparence. Si c’est le cas, ce serait une très bonne chose pour la Guinée. Je pense que pour les prochaines élections, c’est une revendication que je souhaite que toute l’opposition porte, que l’administration soit neutre et que les fonctionnaires véreux ne fassent pas la politique avec l’argent public. Nous avons beaucoup de directeurs de régies financières qui se mêlent de la politique avec l’argent de l’Etat. C’est vraiment quelque chose à déplorer. Nous pensons qu’il faut mettre fin à cette dérive-là.
Etes-vous optimiste que la gouvernance de Kassory Fofana puisse jeter les bases d’un véritable développement en Guinée?
Dr Ousmane KABA : J’ai toujours voulu qu’on donne de crédit au nouveau Premier ministre chaque fois qu’il va dans une bonne direction. Ce qui est le cas pour les deux actions qu’il a engagées et dont j’ai parlé tantôt. Il ne faut pas oublier que la corruption est en train de paralyser l’économie guinéenne aujourd’hui. Si on ne va pas dans le sens de la lutte contre la corruption, je pense que la Guinée n’aura aucune chance.
Etes-vous disposé à participer éventuellement à un gouvernement si vos préalables sont satisfaits?
Dr Ousmane KABA : Je n’ai jamais appartenu à un gouvernement d’Alpha Condé. J’ai juste été conseiller à la Présidence à partir de 2011. Donc, je n’ai jamais participé à un gouvernement. Après, je suis allé au Parlement en tant que député. Les gens pensent que j’ai été associé à la gestion publique, mais pas du tout ! En fait, je n’ai appartenu qu’à un seul gouvernement: c’est le gouvernement de Sidya Touré. J’ai été ministre des Finances pendant juste 7 mois. Ensuite, ministre du Plan pendant 8 mois. Depuis plus de 23 ans, bien que je sois un spécialiste de la gestion économique, je n’ai jamais géré l’économie guinéenne. C’est qu’il y a un grand paradoxe dans un pays qui manque cruellement de ressources qualifiées. Mais, la Guinée, c’est comme ça. Je pense qu’on a toujours préféré des personnes même moins qualifiées, mais plus accommandantes.
Peut-on s’attendre à votre entrée dans le gouvernement?
Je dis toujours que chacun doit pouvoir servir son pays, mais pas à n’importe quel prix. En réalité, ce ne sont pas des conditions personnelles. A chaque fois que l’on fait appel à moi, je me pose la question:
Qu’est-ce qu’il faut pour que ça marche ?
Dr Ousmane KABA : C’est ça la condition et ça n’a rien de personnel. Lorsqu’on est persuadé que ça peut marcher, alors, on apporte sa contribution. Mais quand ce n’est pas le cas, ça ne vaut pas la peine.
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