Alpha Condé : l’homme, l’œuvre et l’héritage

Septuagénaire avancé et revendiquant à tout va près d’un demi-siècle de lutte acharnée et assidue pour dit-on l’instauration d’une véritable démocratie en Guinée, Alpha Condé – à l’épreuve du pouvoir depuis quelques années – traîne encore ses guêtres.  La population qui renvoyait en lui une vague d’espoir est emprisonnée désormais entre longue attente du changement promis lors de la campagne présidentielle, irrésolution et crise de nerfs. Retour sur l’homme qui se fait appeler  »opposant historique », l’œuvre qu’il réalise au nom de la rupture ( ?) et l’héritage lourd qu’il risque de laisser à ses futurs successeurs.

La peur du chaos en Guinée – provoquée d’un côté par la hantise de l’opposition à avoir des législatives crédibles et de l’autre par un pouvoir obstiné qui ne jure que par le pestiféré Waymark –  est entretenue aujourd’hui par des gestes et actes peu ou pas du tout avisés du pouvoir en place. Ce qui ouvre de fait un boulevard aux invectives allant de tous les sens. Les uns sont traités de chiens qui aboient, les autres se voient offensés après le retour fort rigide à l’envoyeur. Subséquemment ils parlent de crime de lèse-majesté : il faut donc en découdre au niveau des juridictions, car à l’entendement  »du voleur qui crie au voleur », l’équation n’est pas du tout réversible.

Sinistrose et sainte pagaille

Face à cet ubuesque constat, les institutions républicaines ou de ce qui en reste, les religieux, associations ou fédérations de défense des droits de l’homme, société civile, etc. en font le minimum, s’ils ne tournent pas tout simplement le dos au jeu de pingpong outrageant. Tout ce beau monde se pose en sapeurs-pompiers au lieu d’étouffer carrément le départ du feu. Et comme l’absence de sanction appelle à la récidive, l’on distille la sinistrose  aigue sur la population à travers des discours  malhabiles, à l’emporte-pièce rendant l’atmosphère déjà aux effluves du chlore, complètement  asphyxiant. De quoi cristalliser par ailleurs des clivages aux impacts potentiellement destructeurs, rappelant l’entre-deux-tours de la présidentielle passée dont chacun a vécu dans sa chair et dans son âme les effets collatéraux.

Faute de vision globale pour le pays, le pouvoir n’a donc d’autre choix que de remettre au goût du jour des méthodes sékoutouréennes pour notamment mater, ruiner une population déjà exaspérée par une situation socioéconomique qui ne cesse de se dégrader.

A ce jour, faute de compromis, mais surtout de confiance mutuelle entre les principaux acteurs de la barque Guinée qui, pour tout net, tangue, un vent de lassitude, de panique et de désordre souffle notamment sur la mouvance. Une mouvance où la cadence post présidentielle cède de plus en plus la place à une sainte pagaille. Nous n’en voulons pour faits et actes ces appels à la démission du Premier ministre Saïd Fofana, d’appels à l’arrêt du dialogue politique, d’appels à la poursuite des activités de la Ceni, etc. Bref, chacun dit du n’importe quoi et à n’importe qui et à n’importe quelle circonstance. Quitte à ramer à contre-courant. Et donc de mettre davantage en mauvaise posture les quelques rares affidés qui cogitent encore sur comment donner une réelle embellie au grand parti présidentiel.

Le jeu en vaudra certainement la chandelle, car, aujourd’hui, il y a bien lieu de se demander s’il y a vraiment un pilote dans l’avion arc-en-ciel en pleine zone de turbulence. Même les plus pondérés et rares loyaux ont désormais de la peine à redresser la barre. Ce, malgré le foisonnement des euphémismes somme toute élaborés par ces  »faiseurs de rois » qui tentent d’esquiver devant l’Eternel et la communauté des bailleurs de fonds la responsabilité tacite d’Alpha Condé dans le retard de la tenue des législatives.

Aujourd’hui donc, plus personne ne sait en Guinée ce que demain sera fait surtout avec la montée en puissance d’une funeste et redoutable adversité entre deux grandes communautés qui ont jusque-là vécu dans une parfaite harmonie. Un terreau sur lequel se fertilisent Alpha Condé et ses nombreux partisans opportunistes en quête de marque sur un plateau déjà bien étriqué. Des fidèles ou pris comme tels dont l’essentiel sont, on le sait, des transfuges de la défunte poche généreuse du parrain national du PUP, connue sous le nom d’Aldjanna Fodé, du gouvernement de large consensus de Lansana Kouyaté, du Cndd d’un certain Moussa Dadis Camara, … Ces fidèles en bois, habitués à pêcher en eau trouble, sont constitués en mouvements, associations, etc. Certains les appellent à juste titre d’ailleurs  »M’batoula ». Ceux-là même qui crient à tue-tête  pour tenter de faire valoir une soi-disant réussite démocratique et une réelle performance économique du pouvoir en place. C’est leur choix, nous leur en concédons au nom de leur grande expertise en la matière.

Le triptyque de l’indifférence, de l’incertitude et de la résignation

Reste  que les Guinéens (leurs compatriotes) dans leur majorité – même ceux qui font semblant d’être dans les grâces du pouvoir – n’ont jamais été autant abusés et désabusés. Autant eu faim, autant eu soif dans le fameux château d’eau d’Afrique de l’Ouest. Les Guinéens n’ont jamais été autant en insécurité doublée d’incertitude et de résignation, la marque de fabrique de nombreux Guinéens. Ces Guinéens qui n’ont jamais été autant à la merci d’une précarité grossière et inespérée. Certains sont même jetés dehors depuis un an, sans aucune autre forme de procès, suite à la fermeture en cascade des boîtes où ils tiraient l’essentiel de leurs subsistances : Friguia, Sotelgui, Vale, BHP Billiton, etc.

Des agents de Rio Tinto s’inquiètent et ne cessent d’implorer Allah afin qu’ils échappent à l’effet de contagion rampante. Des centaines de pères et de mères de familles sont dans la rue, depuis de longs mois, nez à nez avec la cruauté de la vie quotidienne. Comme scandaleuse consolation, Sékhoutouréya a préféré pour un départ, des déclarations du genre :  »C’est eux qui ont vendu. C’est eux qui ont ficelé des contrats léonins, etc. » Eux ? Ce qui ? Suivez mon regard. Le pouvoir oublie certainement que ce  »Eux-là » n’est rien par rapport à la sauvegarde des emplois dont l’effectivité relève exclusivement de l’Etat, pas d’un ancien Premier ministre qu’on indexe, mué déjà aujourd’hui en opposant farouche.

Cette décadence politique et institutionnelle qui glisse paresseusement dans les annales du quinquennat n’émeut en revanche ni le CNT troqué en caisse de résonnance du pouvoir, ni la CNTG bicéphale, ni l’ensommeillée Cour suprême, ni même l’agonisant Conseil économique et social, encore moins le CNC, l’autre institution qui voit des journalistes battus ou pris à partie par des proches du pouvoir sans aucune réaction comme si la carte de presse n’est plus que des papiers hygiéniques. Pour un changement post-junte, c’en est vraiment un. Ni plus, ni moins. Juste récompense en somme, pourrait-on dire pour certains pris à l’époque comme de simple bétail électoral.

Réputation de sage ?

Quoiqu’il en soit, en guise de bémol et comme si les derniers soubresauts juridico-politico-communautaristes ont déclenché un certain éveil de conscience chez Alpha Condé, l’on a remarqué une sorte d’assouplissement de sa position. Une position que nombreux observateurs assimilent tout de même à des manœuvres politiciennes – aucun geste, aucune posture ne rassure l’opposition et une bonne poignée de Guinéens, estimant que chat échaudé craint l’eau froide – juste pour distraire ou se faire absoudre suite aux dommages collatéraux enregistrés récemment avec la marche politique.

L’homme apparait pourtant modéré avec son gouverneur de Conakry. Il cherche peut être à acquérir, de guerre lasse, la réputation de  »sage » qui accepte le dialogue avec son opposition : cadre restreint, gèle des activités de la Ceni, choix de médiateur, libération de manifestants, etc. Il a en tout cas tout à y gagner en jouant franc-jeu, afin que le changement le vrai soit enfin enfanté en mi-mandat. Après tout, le pouvoir de Conakry et tous ces m’batoula qui infestent l’arc-en-ciel fragilisé doivent savoir que « pour arriver à se définir et à se motiver, l’on a besoin d’ennemis : concurrents en affaires, rivaux pour la réussite et opposants en politique ».

Une autre Guinée est possible

Seulement, voilà ! Une période d’incertitude s’est ouverte en Guinée à l’entame de la seconde moitié du quinquennat d’Alpha Condé. On saura tout de même bientôt si un système aussi rigide que celui mis en place par le locataire de Sékhoutouréya – ce n’est pas étonnant quand on se rappelle qu’il a pris la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée – peut se renouveler avec une réelle rupture, donc un changement, le vrai. C’est-à-dire le rassemblement de tous les Guinéens autour d’idéaux de paix, de justice équitable, de démocratie, du respect des libertés individuelles, etc. pour l’édification d’un Etat de droit fort où les membres d’une même Guinée  dorénavant prospère ne pourront plus se regarder en chiens de faïence. Une Guinée où le mérite (pas l’appartenance ethnique ou tribale) dans l’occupation des postes de responsabilités aura droit de cité. Où les mines seront entre les mains des seuls professionnels pas d’un clan d’amateurs ou d’adeptes d’enrichissements illicites, où l’agriculture sera réellement valorisée. Pourquoi ne pas dépoussiérer, s’il le faut, le « Schéma directeur d’industrialisation » adopté en 1992 avec l’assistance du PNUD et de l’ONUDI, surtout que la Guinée détient un potentiel énergétique estimé à 6000 mégawatts, mais seuls environ 2% sont exploités ? C’est dire que le pouvoir de Conakry doit aller maintenant à l’essentiel en sifflant la fin de la recréation et des récriminations mesquines. Une autre Guinée est possible.

Ce n’est pas une mer à boire, encore moins couvrir à pieds Conakry-Piné, dans l’extrême sud de la Guinée. Juste une réelle volonté politique à prendre, loin des faiseurs de rois qui ne défendent que leurs intérêts personnels et égoïstes et autres coordinations régionales dont le rôle est fondamentalement biaisé aujourd’hui. Mais avec un savant dosage de responsabilité, de don de soi, de patriotisme en plus de la pondération et d’humilité dans les actes et gestes que l’on pose tous les jours. C’est toute la Guinée qui aura gagné !

Thierno Fodé SOW, Kabanews

 

 

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