A mi parcours du mandat présidentiel : Realpolitik ou Trahisons ?(Opinion)
Dans son adresse à la nation, le 03 avril 2015, le Président de la république a, entre autres questions, convoqué celles de l’indépendance économique, de la discipline et de l’équité dans la justice. Or, au même moment des contestations massives venaient de suivre les décisions de justice et le sens commun est alarmé par l’affaissement des valeurs. De plus, les distorsions installent des incompréhensions, menacent l’équilibre et laissent couver des risques d’explosions.
Que se passe –t-il ? Pourquoi les discours semblent-ils si opposés entre eux et avec la réalité ? Pourquoi ne sont –ils pas rassurants ? L’espoir suscité par les fortes mobilisations qui ont précédé et favorisé l’avènement du président SALL serait-il en train de refroidir ? Cela autorise à interroger la pertinence des questions soulevées.
Historiquement, dans les anciennes colonies et les pays dominés, les revendications d’indépendance économique comportent des mesures radicales comme les nationalisations, les rachats d’entreprises et la souveraineté sur la production et la consommation. Or, rien de tel ne figure dans les politiques publiques déroulées par le gouvernement du Président SALL. Au contraire, elles continuent dans la trajectoire de celles menées depuis 1960.
Et pourtant, les revendications des populations se font de plus en plus nombreuses et des menaces de luttes sociales planent. En effet, du nord au sud et de l’est à l’ouest, partout des voix s’élèvent des profondeurs du Sénégal pour réclamer qu’on ne touche pas à leurs terres. Pourtant, les autorités restent sourdes et avancent à pas forcés dans la spoliation des terres au profit des firmes étrangères. Fanaye et Mbane n’avaient –elles pas suffisamment alerté ?
On le sait, la terre est devenue un enjeu essentiel dans la compétition économique actuelle. Et, les multinationales et les oligarchies sont partout à la quête de terres. Le Sénégal n’est pas épargné. C’est pourquoi la circonspection et la prospective devraient empêcher que ces richesses des générations futures ne soient bradées. De toute façon, les firmes de l’agrobusiness transformeront inéluctablement les populations en ouvriers agricoles. Or, cette perspective, pour que l’expérience en révèle, est terrible pour les précarités et la perte de souveraineté qu’elle entraine. Ainsi, il clair que si ce processus continue, il ne sera pas possible de réaliser une épargne dans l’agriculture et de contribuer à la formation du capital national.
De la même façon, les entreprises nationales et les petits producteurs sont défavorisés par rapport aux firmes étrangères. De plus, l’accord de partenariat économique (APE) adopté par le gouvernement va les exposer davantage aux assauts des firmes européennes qui ont des dimensions supérieures. C’est dire, de toute évidence, qu’en termes relatifs, la croissance et les profits seront pompés vers l’extérieur. Par conséquent, ces politiques publiques extraverties ne peuvent pas constituer un socle à la formation d’un sentiment national et d’une conscience citoyenne. En vérité, les peuples mobilisés autour d’intérêts nationaux sont, en général, les plus aptes à accepter un code de discipline et à l’assumer.
Comme, dans le domaine économique, la justice et le système judiciaire posent problème. Et, incontestablement les déceptions sont énormes. Même si le premier ministre a tenté de rassurer en proclamant devant l’assemblée nationale, le jeudi 12 mars, sa confiance à la justice et affiché une retenue sur les procès en cours, la sérénité n’est pas établie. En effet, dans la même période des citoyens d’un quartier de Dakar, des organisations des droits humains et d’autres aux origines diverses se sont organisés pour contester une décision de justice frappant deux jeunes citoyens de vingt ans de prison.
Cette remise en cause est massive et plus intense en ce qui concerne les procès en cours devant la cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Par ailleurs, la contestation tente de montrer que la séparation des pouvoirs est une illusion et que la justice est aux ordres.
C’est une façon de reprendre ce que notre concitoyen Abdou Latif Coulibaly écrivait, il ya peu : »les juges sénégalais emprisonnent des citoyens sur ordre et libèrent également de la même manière ».
Du reste, la plupart des tenants du pouvoir actuel serinaient le même discours pendant qu’ils évoluaient dans l’opposition au régime précédent.
Et, qui plus est, certains avaient poussé la coquetterie jusqu’à l’élaboration d’un projet de nouvelle constitution dépouillant le Président de la république du conseil supérieur de la magistrature et comportant des mesures hardies et largement partagées par des secteurs importants de l’opposition actuelle.
C’est pourquoi en différant les réformes qu’il avait acceptées avant d’accéder au pouvoir, le Président SALL peut être suspecté de se frayer le temps nécessaire à la mise en place d’un pouvoir personnel et patrimonial. Serait-ce dans cette perspective qu’il a infiltré les pouvoirs par les membres de sa famille ? Cette pratique, plus exagérée que celle qui était reprochée à son prédécesseur, a contribué à le discréditer. Or, ses laudateurs, parmi lesquels des ministres de la république, le présentent comme un homme providentiel. Hélas ! Ce culte de la personnalité et ces flatteries sont les mêmes que ceux qui encensaient le Président WADE. Et, on peut déjà soupçonner les flatteurs les plus zélés d’être les détracteurs les plus tonitruants lorsque les vents changeront d’orientation.
A la vérité, les élites intellectuelles et politiques ont pendant longtemps œuvré pour montrer que la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice n’ont aucune effectivité. Elles changent de discours et d’attitudes selon les postures qu’elles occupent. C’est ainsi que notre compatriote Abdou Latif Coulibaly écrivait : « La vassalisation du juge est un fait consacré par les textes au Sénégal ».
Comment peut-on après une telle assertion, faire croire que les statuts des juges ont changé alors que les textes sont presque les mêmes ? Les élites se moquent –elles de populations ? De toute façon, Abdou Latif Coulibaly nous a édifiés depuis longtemps en affirmant : « Les pouvoirs publics tiennent des discours qui se veulent rassurants, quant à l’impartialité et à l’indépendance des juges. Avec une démagogie renversante n’ayant d’égale que l’hypocrisie qui la fonde, certains osent appeler les citoyens à faire confiance à la justice ».
Evidemment, la promptitude avec laquelle les élites renient les discours qu’elles proposaient avant d’accéder au pouvoir témoigne de l’hypocrisie dont parle Coulibaly et du manque d’intérêt pour les changements attendus. C’est cette capacité d’hypocrisie collective qui a permis au Président SALL, à mi-chemin de son mandat, de ne pas engager les réformes institutionnelles qu’ils avaient contractées.
Il est, d’ailleurs, aidé dans cette manœuvre par les partis, les groupes et les personnalités qui avaient participé aux « Assises nationales » et qui sont dans sa mouvance. En effet, ils gardent le profil bas alors qu’ils avaient pris l’engagement d’appliquer et de faire appliquer les préconisations des « Assises nationales ». Quand les élites trahissent et renient leurs paroles d’hier, comment peuvent-elles forger les vertus et la discipline au sein des populations ? Dés lors, on peut convenir que le système judiciaire et plus généralement les institutions nécessitent une réforme profonde et surtout largement partagée par les populations.
N’est-il pas regrettable que les élites sénégalaises soient des orfèvres dans le reniement de la parole donnée et des engagements ? L’arrogance, l’ostracisme et la désinvolture des hommes qui nous dirigent ne risquent–ils pas d’engendrer des violences ?
Les citoyens doivent exiger de ceux qui dirigent qu’ils respectent leurs paroles et leurs engagements. C’est de cette manière qu’on commencera à jeter les bases d’une refondation.
Par ailleurs, de plus en plus, certains partisans et alliés du Président de la république s’acharnent à codifier le culte de la personnalité et la « pensée unique ». C’est dans cette veine qu’ils demandent le départ de leurs alliés sur des bases platement partisanes.
Pourquoi des compétences qui appartiendraient clairement à un parti d’opposition ne pourraient –elles pas assumer des fonctions de direction dans l’Etat ? Ces partisans oublient que la question relève d’une revendication des forces démocratiques depuis le régime de Senghor et Diouf.
De plus, certains cercles très proches du Président de la république sont en train de manipuler les populations pour revenir sur l’engagement de réduire le mandat présidentiel. L’argument du serment du Président de s’en tenir à la constitution n’est pas recevable dans ce débat. En effet, celle-ci prévoit les conditions dans lesquelles on procède à sa révision et au référendum.
De plus, on ne le dit pas assez au demeurant, le Président SALL s’était engagé à faire voter une nouvelle constitution qui rétablirait le mandat du Président à cinq ans en faisant appliquer cette mesure au mandat en cours. Or, il n’est pas d’obstacle à cela, il s’agit d’en porter les mentions dans la nouvelle constitution à proposer. Dans ses termes actuels, le débat sur la durée du mandat est une diversion qu’il faut écarter. Il est superfétatoire d’impliquer le conseil constitutionnel dans cette manœuvre politicienne. Le Président ne s’est-il pas engagé à remplacer celui-ci par une cour constitutionnelle ? Aussi, les citoyens ne devraient-ils pas veiller pour que les réformes ne soient pas taillées sur mesure pour le roi ?
Incontestablement, le Sénégal vogue dans une période de turbulence. Le calme apparent cache mal la perturbation des valeurs et des repères. Or, les élites intellectuelles et politiques, tout en réclamant la discipline aux populations, s’illustrent par le reniement et la trahison. La plupart n’opèrent pas par l’exemplarité. C’est ainsi que les dirigeants ont, une fois au pouvoir, renoncé aux programmes qu’ils avaient proposés aux citoyens et aux préconisations des « Assises nationales ».De toute façon, ce sont les politiques économiques extraverties qui se poursuivent et les maquillages ne suffisent à changer le réel. C’est pourquoi le Président SALL et ses laudateurs peinent à convaincre et à rassurer les populations quant à l’équité dans le système judiciaire et à susciter l’acceptation d’une discipline et d’une éthique. Les gouvernants s’acharnent à trouver tous les prétextes pour renoncer à leurs engagements, ils préfèrent conserver le plus longtemps leurs privilèges. Ils ne prêchent pas la discipline par l’exemplarité. Le Sénégal a besoin de réformes profondes. Et, dans cette perspective les citoyens devraient exiger de ceux qui nous dirigent ou y aspirent que leurs paroles soient conformes à leurs actes.
NB : Les propos de Monsieur Abdou Latif Coulibaly sont tirés de l’ouvrage : « Une démocratie prise en otage par ses élites »Dakar 2006
Alioune DIOP
Président du CIMAC
(Comité d’Initiative pour une
Mobilisation Alternative et Citoyenne)
Tél :(+221) 76 680 08 23
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