Umaro Sissoco Embalo en Tunisie pour absoudre Kaïs Saïed ( JA)

Président de la Cedeao, le chef de l’État bissau-guinéen a fait une halte surprise à Tunis, le 8 mars au soir, afin de rencontrer Kaïs Saïed et mettre un point final à la crise provoquée par les propos de ce dernier sur les migrants subsahariens. Un exercice de déminage plus que nécessaire au moment où les conséquences se déplacent sur le terrain économique.

Quand l’avion en provenance de Bissau atterrit à l’aéroport de Tunis-Carthage, ce 8 mars en fin de journée, nul ne sait qu’à son bord se trouve le président de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo également président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – et qu’il s’apprête à rencontrer son homologue tunisien, Kaïs Saïed. Cette visite éclair, la première d’un dirigeant africain de haut rang depuis les propos tenus le 21 février par le président tunisien et qui ont provoqué un tollé, est une mission de bons offices.

Cette rencontre, non annoncée par les voies diplomatiques, semble d’ailleurs n’avoir eu pour but que de donner au chef de l’État tunisien l’occasion de préciser la teneur de son intervention du 21 février qui, selon lui, aurait été manipulée et déformée dans l’intention de nuire à la Tunisie. La version officielle est donc celle de propos mal interprétés. Telle est le message de Carthage, qu’Umaro Sissoco Embalo va se charger de transmettre aux membres de la Cedeao.

Très à l’aise, le président bissau-guinéen a donc pris acte des arguments de Kaïs Saïed, tout en assurant qu’il « ne pouvait croire que le président tunisien du pays de Bourguiba est xénophobe ou raciste », concluant : « Ce n’est pas parce qu’il y a une différence de couleur de peau que nous ne sommes pas tous des Africains et des frères, que l’on soit au Nord, à l’Ouest, au Sud ou au Sahara. »

Le but de la visite et de la conférence conjointe des deux présidents est très clairement de clore une séquence très pénible, qui restera comme un incident diplomatique majeur entre la Tunisie et l’Afrique subsaharienne. La question des migrants irréguliers ou de la politique tunisienne face aux flux migratoires n’y a pas été abordée. Elle le sera certainement dans d’autres circonstances, mais d’ores et déjà, Kaïs Saïed, par cet exercice de dénégation en public abondamment diffusé sur les réseaux sociaux, est parvenu à faire baisser d’un cran une tension devenue insoutenable autour des relations de la Tunisie avec le continent.

Kaïs Saïed, souriant et détendu

En l’espace de quelques jours, les conséquences pour la Tunisie à l’international, notamment l’impact sur les échanges économiques, ont été très importantes. Certains pays, dont la Côte d’Ivoire et la Guinée, ont lancé une opération de rapatriement de leurs ressortissants. La Banque mondiale a aussi réagi : elle a rappelé les principes éthiques qu’elle souhaite partager avec ses partenaires et reporté une réunion sur le cadre de partenariat avec la Tunisie qui devait se tenir le 21 mars. Des remous qui, en Tunisie, ont fait l’effet d’une tempête, d’autant que depuis quinze jours, le président n’est plus revenu sur le sujet.

C’est un Kaïs Saïed souriant et s’exprimant en français qui s’est défendu, de manière improvisée, des accusations qui lui avaient été adressées, tout en rappelant qu’« il y a l’État tunisien et la légalité tunisienne souveraine sur le statut des étrangers. Aucun pays n’accepte qu’il y ait des juridictions parallèles aux juridictions de l’État, des actes de mariage qui se concluent en dehors de toute légalité, tout ça est inacceptable ». Une allusion aux pseudo tribunaux qu’auraient organisés les migrants irréguliers pour régler leurs litiges intercommunautaires.

Se défendant de tout racisme, le président tunisien soutient que les critiques qui le visent sont « des propos malveillants tenus par des responsables et des journalistes ayant voulu interpréter le discours à leur guise, pour nuire à la Tunisie, et porter atteinte à ses relations avec certains pays africains ». Pour preuve, poursuit-il, il a, à titre personnel, des liens familiaux avec des ressortissants africains, des amitiés et des relations datant de l’université et de l’époque où la Banque africaine de développement (BAD) était installée en Tunisie. Donnant à plusieurs reprises du « khouya » « frère » au président Embalo, Kaïs Saïed s’insurge contre « une campagne qui n’est pas innocente », et souligne de manière répétitive « une volonté de nuire » au pays.

Le démenti ferme qu’il apporte et son insistance à justifier son discours sont probablement des signes de sincérité. Ils ont été perçus comme tels par une partie de l’opinion tunisienne, soulagée par cet apaisement dans la crise avec les pays subsahariens. Certains se demandent maintenant si le rapport sur la migration subsaharienne, truffé d’erreurs, d’approximations et de fausses références, élaboré par le Parti nationaliste tunisien et à partir duquel Kaïs Saïed a fondé sa position, n’avait pas été soumis au président pour le mettre dans l’embarras en suscitant une crise diplomatique sans précédent.

Ce rapport évoquait l’existence d’un « plan criminel préparé depuis le début de ce siècle pour métamorphoser la composition démographique de la Tunisie », affirmant que l’objectif des « vagues successives de la migration clandestine était de considérer la Tunisie comme un État africain n’ayant aucune appartenance arabe et islamique ». Ce sont ces thèses, reprises le 21 février par le président tunisien, qui ont mis le feu aux poudres.

Jeune Afrique

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