« s’il a retrouvé toutes ses facultés, au point de croire que le peuple guinéen, librement, peut lui confier son destin, alors, il est urgent que le magistrat lui envoie une convocation »

 

Penser qu’il peut rentrer dans son pays et faire campagne pour la présidentielle, sans avoir à répondre des crimes commis sous son éphémère régime, entre 2008 et 2009, revient, de la part de Moussa Dadis Camara, à miser sur une impunité que l’opinion, en Afrique, tolère de moins en moins.
Antony Lattier : Le capitaine Moussa Dadis Camara annonce sa candidature à la présidentielle d’octobre prochain, en Guinée. Un temps président de ce pays – en sa qualité de chef de la junte qui a pris le pouvoir à Conakry, à la mort du général Lansana Conté, en décembre 2008 -, il avait trouvé asile à Ouagadougou, au Burkina. Que peut bien cacher ce retour ?
Jean-Baptiste Placca : Il faut espérer qu’il saura le dire, le moment venu, au peuple guinéen, et plus particulièrement aux victimes ou parents des victimes du massacre du 28 septembre 2009. 157 morts, des dizaines de femmes violées et des centaines de blessés. Lorsqu’il a senti la Cour pénale internationale s’intéresser trop à lui, il a désigné Toumba Diakité, son aide de camp, à qui il voulait faire endosser la responsabilité de tous ces crimes. Ce dernier, en réaction, lui a logé une balle dans la tête. Et l’on a cru comprendre que sa cervelle en était endommagée pour de bon.
S’il a retrouvé toutes ses facultés, au point de croire que le peuple guinéen, librement, peut lui confier son destin, alors, il est urgent que le magistrat en charge du dossier des massacres du 28 septembre lui envoie une convocation. Les organisations de défense des droits de l’homme réclament d’ailleurs son inculpation…
Faut-il comprendre que le dossier d’un tel massacre a pu être mis en veilleuse en raison des seuls doutes sur l’état de santé du capitaine Moussa Dadis Camara ?
Le traitement de ce dossier a en tout cas souffert d’une affligeante lenteur. Ces crimes ont été commis depuis bientôt six ans, et l’on ne parle toujours pas de procès. Mais cette tonitruante réapparition du capitaine Dadis Camara trahit surtout une fâcheuse propension, en Afrique, à oublier, exprès, des dossiers qui devraient mériter un traitement prioritaire. C’est cette même propension qui tend à soustraire à la justice des personnages qui auraient tant de comptes à lui rendre. Moussa Dadis Camara aurait dû demeurer sous une surveillance étroite de la justice. Or, on l’a oublié, au point de le laisser se construire, en rêve, un destin national, à l’abri de la justice.
Aurait-on donc pris, sur ce continent, l’habitude de passer par pertes et profits les crimes graves impliquant des hommes politiques ?
Dans certains pays africains, oui, l’on a pris l’insupportable habitude de considérer que les morts qui surviennent dans un cadre politique, comptent peu, sinon pas du tout. Voilà pourquoi Moussa Dadis Camara, avec tous les morts au passif de son éphémère régime, peut estimer pouvoir rentrer dans son pays pour battre campagne, sans avoir, au préalable, répondu de sa responsabilité dans les terribles événements du 28 septembre 2009.
La répression, ce jour-là, était dirigée contre une manifestation, dans un stade, s’opposant clairement à la candidature du capitaine Dadis Camara à l’élection présidentielle qui se profilait alors à l’horizon.
Sous-entendez-vous que le capitaine Moussa Dadis Camara ne peut prétendre être totalement étranger à tout cela ? Il n’a pourtant été entendu, jusqu’ici, que comme témoin, par la justice…
C’est une anomalie, qui tient à l’hypocrisie habituelle. Il était encore président, soi-disant, de la République de Guinée, et c’est pour cette raison-là que l’on l’a ménagé. Ensuite, quand il a pris une balle dans la tête, l’on a considéré qu’il n’avait… plus toute sa tête. Et le Burkina lui a donné asile, parce que Blaise Compaoré, médiateur en Guinée aussi, l’avait récupéré, pour rendre service, enlever une épine du pied de la Guinée. Et l’on était censé l’oublier, comme si le prix à payer pour la paix était cet exil, où tous le savaient surveillé, donc, peu susceptible d’aller semer un quelconque désordre en Guinée.
Il faut croire que la chute de Blaise Compaoré, d’une certaine manière, l’a libéré, lui aussi. Alors, il lui vient des idées, des envies, et sa cervelle sélective a peut-être tout simplement « aboli » la sanglante barbarie du 28 septembre 2009.
A qui revient-il de le prévenir de ce qu’il encourt en retournant en Guinée ?
L’Afrique peut condamner comme elle veut la Cour pénale internationale. Mais cette CPI est tout de même utile, face à des attitudes comme celle de Monsieur Moussa Dadis Camara. Car si quelqu’un lui a promis qu’il peut échapper à la justice de son pays, il y a peu de chance que la CPI le laisse passer par pertes et profits les massacres et les viols du 28 septembre. Face à ces justiciables qui, sous couvert de politique, jouissent d’une impunité dont ils se servent ensuite pour narguer leurs victimes, on a aussi envie de dire : « Y en a marre ! ». Et même : vive la CPI !
Source: RFI
*Jean Baptiste Placca est un journaliste spécialisé dans les médias africains. Editorialiste pour RFI depuis 2004, il travaille aussi pour le quotidien français La Croix. Il a été directeur de la direction du journal Jeune Afrique Economie entre 1990 et 1996, et a obtenu son premier poste à responsabilité au sein de Jeune Afrique après avoir été grand reporter pour le magazine. Spécialiste du continent, il est souvent invité pour débattre sur des plateaux de télévision.

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