Qu’est – ce qui rend Ebola terrifiant?
Le taux de létalité est effrayant, mais le plus violent est son mode de propagation. Le virus s’attaque à l’amour et à la sollicitude et tire profit de vertus comptant parmi les plus profondément et les plus distinctement humaines.
Alors que l’épidémie d’Ebola est désormais hors de contrôle en Afrique de l’Ouest, avec des milliers de victimes comptabilisées au Liberia, au Sierra Leone et en Guinée, et plusieurs milliers d’autres menacées, le temps de réaction du monde aura été d’une lenteur aussi glaçante que mortelle.
Aux yeux des dirigeants internationaux, ce n’est que depuis quelques semaines que le problème est considéré comme réellement grave.
A l’heure actuelle, le virus a tué plus de 2.600 personnes. Un chiffre relativement faible par rapport à d’autres maladies plus courantes comme la malaria, le VIH/sida, la grippe, etc., mais plusieurs facteurs propres à cette épidémie font que, de par le monde, les spécialistes en santé publique sont extrêmement inquiets:
• Son taux de létalité: en ce qui concerne l’épidémie actuelle, les estimations officielles portent à 54% le nombre de personnes infectées par le virus qui en meurent, mais pour des chiffres corrigés, la proportion est encore plus conséquente.
• Sa croissance exponentielle: à l’heure actuelle, le nombre de personnes infectées double toutes les trois semaines environ, ce qui pousse certains épidémiologistes à estimer que, d’ici la fin 2014, l’épidémie comptabilisera entre 77.000 et 277.000 cas.
• Son caractère cauchemardesque: le virus tue en se greffant aux cellules de son hôte et en migrant dans tout son corps. Il infecte l’intégralité de ses organes et la victime se vide de son sang avant de mourir.
• La facilité de son mode de transmission: via le contact avec des fluides corporels (sueur, larmes, salive, sang, urine, sperme, etc.), ce qui inclut les objets entrés en contact avec de tels fluides (draps, vêtements, seringues) et les cadavres.
• La menace d’une mutation: d’éminents spécialistes ont publiquement exprimé leur crainte que cette maladie devienne un jour transmissible par voie aérienne, et que d’autres mécanismes lui confèrent une transmissibilité encore plus grande.
Mais tous ces facteurs ont beau être terrifiants, il me semble qu’aucun ne reflète la tragédie véritablement épouvantable que représente cette maladie.
Ce qu’il y a de plus violent avec ce virus, c’est son mode de propagation. Oui, par contact avec des fluides corporels, mais une telle formulation passe sous silence la manière dont de tels contacts surviennent. Car le mécanisme utilisé par Ebola est en réalité bien plus insidieux.
Le virus s’attaque à l’amour et à la sollicitude et tire profit de vertus comptant parmi les plus profondément et les plus distinctement humaines. Dans leur grande majorité, les victimes se retrouvent parmi le personnel médical ou le cercle familial, prises au piège par Ebola pendant qu’elles ne faisaient que leur travail et s’occupaient de leurs semblables humains. Plus choquant encore, 75% des victimes d’Ebola sont des femmes –cette catégorie de la population qui, en Afrique de l’Ouest comme dans le reste du monde, est aux premières lignes quand il s’agit de se dévouer aux autres. Pour le dire en deux mots, Ebola parasite notre humanité.
Plus que d’autres maladies pandémiques (malaria, choléra, peste, etc.), et plus que les maladies à transmission aérienne (grippe, grippe porcine, H5N1, etc.), Ebola n’a besoin que de très petites quantités de fluides corporels pour se propager. Même un contact fugace avec la personne infectée peut contaminer la personne qui s’en occupe.
Comment lutter contre notre sollicitude?
Les images en provenance d’Afrique sont à glacer le sang. Ce sont des petits garçons, seuls dans les rues, sans parents, grelottants de fièvre et intouchables par la foule qui passe près d’eux. Ce sont des hommes adultes qui se tordent de douleur aux portes des hôpitaux et attendent qu’on les prenne en charge, accompagnés de proches qui, impuissants, se demandent comment leur venir en aide. Ce sont des mères et des pères qui, luttant contre l’épuisement, se traînent dans le coin d’une tente pour apercevoir l’image ultime et distante d’une vidéo d’adieu que leurs enfants ont enregistrée pour eux.
Si rien ne lui fait obstacle, Ebola est capable de détruire des familles entières en à peine un mois, les proches de ces familles quelques temps après, puis les amis de ces proches et ainsi de suite. Quand le virus s’installe (et il s’installe vite) il taillade le cœur de la famille et de la civilisation. En plus des hémorragies et de son taux de létalité, voilà pourquoi la maladie est terrifiante. Ebola déchire les liens qui nous rendent humains.
Et aujourd’hui, médecins et soignants sont à pied d’œuvre pour dénouer ces liens, en luttant désespérément contre les tendances naturelles qui poussent les gens à s’occuper de leurs proches. D’agressives campagnes d’information ont été lancées, les mises au point sont fréquentes et le plus largement diffusées, on en appelle à l’armée et aux politiques pour obtenir toujours plus de matériel et d’infrastructures et tenter d’endiguer l’hystérie. Mais aucun bout de plastique ou de latex ne semble pouvoir dévier le cours de ces inclinations humaines.
Des efforts aussi héroïques sont la réaction médicale idoine en cas de catastrophe sanitaire d’une telle virulente. Les acteurs de la santé publique font un boulot extraordinaire, affrontent des risques incroyables et doivent s’adapter à des ressources extrêmement limitées.
Slate
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