Le Salarié face à certaines pratiques néfastes à la lumière du nouveau Code du travail Guinéen.
L’existence d’une entreprise nécessite la réunion de plusieurs éléments très souvent qualifiés de facteurs de production. Il reste évident que les entreprises constituent à part entière des agents économiques compte tenu de leur impact dans la croissance d’un Etat.
De ce fait, ces objectifs économiques ne peuvent être atteints sans une adhésion sociale. Cette adhésion signifie une certaine relation entre l’entreprise et ses salariés, ce mécanisme relationnel a pour base le contrat de travail ou d’autres contrats similaires sans oublier le droit civil qui, par défaut établit les règles de base contractuelles.
Dans un contrat de travail, le salarié ou l’employé reste la partie plus ou moins déséquilibrée et ce, pour plusieurs motifs, dans cette dynamique les législations des Etats tentent tant bien que mal de palier à ce déséquilibre contractuel (Protection du salaire de l’employeur par exemple).
La Guinée, à l’instar de plusieurs autres pays à promulguer le 10 Janvier 2014, la loi L/2014/072/CNT[1], un texte malheureusement n’a pas fait l’objet d’une véritable médiatisation dans le milieu professionnel guinéen, hors son étendue reste salutaire. Une étendue qu’on peut percevoir dès son titre préliminaire à travers la définition donnée au mot « salarié » et les personnes assujetties (le Champ d’application de notre loi).
Qui est Salarié ?
Le Salarié (travailleur) est ainsi défini dans notre texte comme « Toute personne quels que soient son sexe, sa nationalité, son origine qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne physique ou morale, publique ou privée, laïque ou religieuse ».
Notons que cette définition figurait dans l’ancien code relatif au travail institué par l’ORDONNANCE[2] N° 003/PRG/ SGG/ 88 DU 28 JANVIER 1988.
Quelles sont les personnes soumises au nouveau Code du travail (les assujetties) ?
L’article 2 de notre loi lève toute équivoque : de façon générale, la nouvelle loi s’applique aux relations individuelles et collectives entre les travailleurs et les employeurs exerçant leur activité dans les secteurs mixtes et privés en République de Guinée.
Notre loi est aussi applicable aux relations entre les maitres et leurs apprentis ainsi qu’aux contrats de stage.
En dernier lieu, les travailleurs domestiques ainsi que les employeurs exerçant une profession libérale sont régis par le nouveau code de travail.
Toutefois, il est à préciser que les fonctionnaires, personnes nommées dans un emploi, permanent d’un cadre d’une administration publique, les membres des forces armées ainsi que les agents contractuels permanents et temporaires de l’Etat ne sont pas soumis à cette législation.
Compte tenu de certaines réalités gangrenant notre milieu professionnel, il serait justifiable d’aborder les stratégies misent par le législateur guinéen afin de protéger le salarié face à certaines pratiques néfastes venant très souvent d’un supérieur hiérarchique, de l’employeur directement, ou d’un collègue.
- Le Harcèlement
Sans doute l’une des plus récurrentes dans notre milieu professionnel, le nouveau code du travail distingue deux (2) formes:
- Le harcèlement moral
Selon l’article 8 de ladite loi « Sont considérées comme harcèlement moral au travail, les conduites abusives et répétées de toute origine, externe ou interne à l’entreprise qui se manifestent notamment par des comportements, des paroles, des intimidations, des actes des gestes et des actes unilatéraux, ayant pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique d’un employeur ou d’un travailleur en milieu de travail, de mettre en péril l’emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.
Le harcèlement moral peut revêtir de nombreux visages, on peut évoquer les circonstances suivantes : lorsque l’employé est soumis à une surcharge de travail ou au contraire, à une absence totale de tâches sans motifs valable ou sanction notifiée, lorsque que ses responsabilités sont gelées du jour au lendemain, ou bien lorsqu’il est replacé à son ancien poste sans raison valable.
- Le harcèlement sexuel
D’après l’article 9 « Est considéré comme harcèlement sexuel toute forme de comportement verbal, non verbal ou corporel de nature sexuelle qui affecte la dignité des femmes ou des hommes en milieu du travail. Il est de même pour toute conduite de nature sexuelle qui a pour objet de créer un environnement de travail intimidant, hostile ou humiliant pour une personne »
Pour la dernière citée notre loi aurait pu élargir sa définition aux candidats à l’embauche étant donné que cette pratique peut débuter à ce niveau étant que de nos jours il existe une « espèce d’emploi sexuellement transmissible » remettant en cause tout recrutement basé sur le critère de la compétence, de l’égalité entre les postulants. Lorsque cette pratique est souhaitée par le postulant on ne peut parler de harcèlement, mais s’il s’agit d’agissements émanant de l’employeur ceci devrait tomber sous la coupe de l’article, malheureusement le législateur laisse un vide juridique à ce niveau.
Le harcèlement ne se limite donc pas à la relation salarié-employeur, il touche également les relations entre salariés. A ce niveau l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaire afin d’assurer la protection de ses salariés. L’employeur reste responsable lorsque le harcèlement moral provient d’une personne qui exerce sur le salarié une autorité de fait.
Le fait que l’auteur désigné du harcèlement ne soit pas un salarié de l’entreprise n’exonère pas l’employeur de sa responsabilité (sécurité). Lorsqu’une personne extérieure à l’entreprise exerce une autorité de fait sur les salariés, l’employeur, tenu à l’égard de son personnel d’une obligation de sécurité de résultat, doit veiller à ce que les personnes qu’il investit d’une autorité n’en abusent pas.
Comment prouver le Harcèlement ?
Notre loi n’en fait pas mention, il est d’ailleurs très difficile de prouver l’existence d’une telle pratique dans la mesure où l’auteur de l’acte n’ignore point sa gravité, par conséquent il reste assez discret. Dans la pratique et conforment à l’article 10 c’est à la victime d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, la partie défenderesse ou la personne poursuivie doit prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d’un harcèlement, le cas échéant, il sera condamné par le tribunal saisi. La demande du salarié peut être écartée s’il ne rapporte aucun fait. Cependant la victime peut ou doit conserver surtout dans le cas du harcèlement sexuel les messages (SMS, ou émail) ou tout moyen prouvant la matérialité de l’acte (Appels extra professionnel répétés, rendez-vous extra professionnel etc…) et surtout en parler dès les premières avances, le silence est la chose la moins recommandée.
La protection de la Victime du Harcèlement
Selon le nouveau code du travail : Aucun travailleur ne peut être sanctionné, ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement sexuel de l’employeur, de son représentant ou de toute personne qui, abusant de l’autorité que lui confère sa position ou ses fonctions, a donné des ordres, proférés des menaces, imposés des contraintes ou exerces des pressions de toute nature sur le travailleurs, dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles à son profit ou au profit d’un tiers.
Nul ne peut prendre en considération le fait que la personne qui a subi ou refusé de subir les agissements ci-dessus.
Aucune personne ne peut être sanctionné, ni licenciée, ni pénalisé pour avoir, dénoncé, relates ou témoigne de tels agissements.
On constate alors qu’en plus de la victime, la protection contre le harcèlement est élargie aux témoins ce qui constitue une garantie importante dans la sécurité de l’emploi.
- Le Salarié face à la Discrimination
Par ignorance ou par abus d’autorité le mot « discrimination » est très utilisé dans le jargon professionnel et figure parmi les pratiques contre lesquelles des mesures de protection sont souvent prises par les législations. Toute décision de l’employeur (embauche, promotion, sanctions, mutation, licenciement, formation…) doit être prise en fonction de critères professionnels et non sur des considérations d’ordre personnel, fondées sur des éléments extérieurs au travail
Face à ce risque d’abus de l’employeur le législateur guinéen a mis en place des mesures visant à protéger le salarié ou le candidat à l’embauche, une volonté matérialisée par l’article 5 ne notre loi selon lequel : Aucun employeur, ou son représentant ou toute autre personne ne peut prendre en considération le sexe, l’âge, l’ascendance nationale, la race, la religion, la couleur, l’opinion politique et religieuse, l’origine sociale, l’appartenance ou non à un syndicat et l’activité syndicale, le handicap pour arrêter des décisions en ce qui concerne notamment l’embauche, la conduite et la répartition de travail, la formation professionnelle, l’avancement, la rémunération, l’octroi d’avantage sociaux, la discipline ou la rupture du contrat de travail ».
Toutefois pour le bon fonctionnement d’une entreprise et en fonction de ses besoins, l’entreprise peut exiger certaines conditions qui interviennent très souvent avant l’embauche c’est-à-dire la phase de recrutement ou d’offres d’emploi, à cet effet les dispositions de la loi L/2014/072/CNT sont également très claires selon elles ; les distinctions, exclusions ou préférences fondées sur les qualifications exigées pour un exigées pour emploi déterminé ne sont pas considérées comme des discriminations telles que les restrictions applicables à un nombre limité de personnes dans les institutions religieuses particulières ou à des abus non lucratifs.
Le travailleur peut saisir directement la juridiction chargée du travail pour dénoncer les actes de discrimination dont il a été victime. Toutefois il pourra saisir l’inspecteur du travail du ressort pour la conciliation qui constitue une procédure de règlement de litiges.
En dernier lieu nous abordons le travail forcé moins fréquent compte tenu de l’évolution naturelle de notre société qui persiste néanmoins par la mauvaise foi de ces auteurs. Avant d’abord le contexte local, il y a lieu de rappeler ici le préambule de la convention n°105[3] de 1957 abolissant le travail forcé adopté à Genève et entrée en vigueur le 17 Janvier 1959
« La Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail,
Convoquée à Genève par le Conseil d’administration du Bureau international du Travail, et s’y étant réunie le 5 juin 1957, en sa quarantième session;
Après avoir examiné la question du travail forcé, qui constitue le quatrième point à l’ordre du jour de la session;
Après avoir pris note des dispositions de la convention sur le travail forcé, 1930;
Après avoir noté que la convention de 1926 relative à l’esclavage prévoit que des mesures utiles doivent être prises pour éviter que le travail forcé ou obligatoire n’amène des conditions analogues à l’esclavage et que la convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage vise à obtenir l’abolition complète de la servitude pour dettes et du servage;
Après avoir noté que la convention sur la protection du salaire, 1949, énonce que le salaire sera payé à intervalles réguliers et interdit les modes de paiement qui privent le travailleur de toute possibilité réelle de quitter son emploi;
Après avoir décidé d’adopter d’autres propositions relatives à l’abolition de certaines formes de travail forcé ou obligatoire constituant une violation des droits de l’homme tels qu’ils sont visés par la Charte des Nations Unies et énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme;
Après avoir décidé que ces propositions prendraient la forme d’une convention internationale,
adopte, ce vingt-cinquième jour de juin mil neuf cent cinquante-sept, la convention ci-après, qui sera dénommée Convention sur l’abolition du travail forcé, 1957 »
D’autres dates importantes restent incontournables avant cette convention :
En 1930, le Bureau International du Travail adopte une convention visant à supprimer le travail forcé « sous toutes ses formes dans le plus bref délais possible ».
En 1946 les Nations unies proclament dans l’article IV de la Déclaration universelle des droits de l’homme que « nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes »
Le nouveau code de Travail adhère entièrement à cet engament international, d’ailleurs la volonté du législateur Guinéen se traduit dès l’article 4 de notre texte selon lequel : «Le travail forcé ou obligatoire est interdit »
Notre loi définie le travail forcé ou obligatoire comme « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelque conque et pour lequel ledit individu n’est pas offert de plein de gré ».
On peut donc déduire que le travail forcé se matérialise par une absence de consentement remettant en cause toute base du principe contractuel.
Le travail forcé étant interdit, la loi établit néanmoins les circonstances dans lesquelles il ne peut être évoqué, il en est ainsi des cas suivants :
- Tout travail ou service découlant des obligations civiques normales des citoyens ;
- Tout travail ou service en exécution d’une condamnation prononcée par une juridiction répressive ;
- Tout travail ou service exigé en cas de circonstance mettant en danger ou risquant de mettre en danger la vie ou les conditions normales d’existence de tout ou partie de tout de la population et en cas de force majeur.
La nouvelle loi accorde d’ailleurs plus de garanties aux salariés dans d’autres domaines tels que la liberté syndicale, les garanties liées au salaire par exemple qui nécessite une analyse approfondie.
Paul Antoine Bangoura
gbangoura49@gmail.com
Juristes d’Affaires
[1] Loi instituant le nouveau Code du Travail guinéen
[2] Code de Travail Guinéen abrogé
[3] ilo.org