J’ai toujours cru, sans hypocrisie, que le bon sens était effectivement la chose la mieux partagé. J’ai toujours pensé que l’être humain, en dépit de ses croyances, de ses sottes certitudes, de sa vanité sans limite, était capable, lorsque la situation l’imposait, de respecter la collectivité dans sa quête de réponses à la multitude de questions qui l’assaille. Ces postulats mis en avant, je n’aurais jamais imaginé qu’il y avait encore dans nos sociétés des individus capables des pires cruautés sans même être capable de justifier leur attitude bestiale.
En effet, comment comprendre ce qui s’est passé dans le petit village de Womey où au moins huit personnes – dont trois confrères – ont perdu la vie pour une simple question de croyances ? Pour vous donner une idée de l’absurde, trois des membres de la délégation venue simplement sensibiliser des villageois aux risques encourus durant cette période d’épidémie d’Ebola ont été égorgés avant que les corps de l’ensemble ne soient jetés dans une fosse sceptique ! Tuer n’était plus suffisant, il fallait humilier les corps, les avilir pour se procurer une sensation de puissance.
Ce qui s’est passé à Womey n’est pas seulement inadmissible. C’est le point d’orgue d’une spirale dangereuse dans laquelle certains citoyens se sont engouffrés sans réfléchir aux conséquences. Et le drame, c’est qu’on ne peut pas dire que tout est de leur faute.
Il y a plusieurs siècles, le philosophe grec Platon mettait en garde sa propre société : « lorsque les hommes s’habituent à laisser faire leurs enfants ; lorsque ceux-ci ne tiennent plus compte de leurs paroles : lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et essaient de les flatter ; lorsqu’enfin les jeunes se sentent au-dessus des lois parce qu’ils ne reconnaissent en eux l’autorité de rien ni de personne, c’est alors là en toute jeunesse et en toute beauté le début de la tyrannie ».
L’état d’esprit qui règne le long des frontières sud de la Guinée n’alimente pas seulement l’épidémie de fièvre Ebola : il vise à imposer la loi de la jungle dans cette partie du pays privé d’infrastructures sanitaires de base et qui n’a pourtant d’autre choix que celui d’accepter et de respecter le message des équipes de sensibilisation.
Le moment est très mal indiqué pour cogiter sur l’origine de la maladie et ses modes de transmission. La « guérisseuse » traditionnelle sierra léonaise qui s’est livrée à ce jeu là, au tout début de l’épidémie, s’est elle-même retrouvée à six pieds sous terre, par le fait du maudit virus, sans comprendre ce qui lui est arrivé. Aujourd’hui, la plupart des scientifiques s’accordent à dire que son attitude désinvolte a permis une propagation plus rapide de la maladie en Sierra Leone, au Liberia et par ricochet en Guinée.
La gravité de la situation impose que l’Etat, tout en maniant habilement le bâton de la fermeté et la carotte de la sensibilisation, impose par tous les moyens légaux les mêmes règles à tout le monde. Il n’y a pas d’autre voie pour maîtriser cette épidémie d’Ebola.
Laisser la tyrannie s’imposer en cette période d’urgence sanitaire serait courir un risque encore plus grand que l’isolement du pays et la stigmatisation de ses citoyens. Et c’est plus qu’une question de survie : accepter le fait accompli est absolument inacceptable.
Saliou Samb, correspondant de Reuters en Guinée