Air Guinée : Les dessous d’un marché de dupes
Après notre première publication qui a fait son effet, retour sur les dessous de cette sulfureuse affaire « Air Guinée » qui n’en finit pas de défrayer la chronique. Comme pour la précédente, le même homme est au cœur du bazar avec la complicité de mêmes ministres du gouvernement et bien évidemment la faveur du contexte de l’époque.
Tout recul pris, on est en face d’une sorte de monument d’irrespect de la chose publique. Car comme on va le voir, la cession des actifs d’Air Guinée s’est non seulement opérée dans de conditions d’illégalité incontestables, mais leur coût a été largement minorisé à dessein et malgré les facilités qui lui ont été faite, à ce jour encore, le bénéficiaire reste devoir au trésor public.
Bien mal acquis ne profitant pas toujours, Air Guinée express s’est ainsi fondée sur les ruines fumantes de notre compagnie nationale et elle n’a pas mis longtemps pour se briser les ailes. Ironie de l’histoire. Mais les frasques laissées par cette opération laissent une grave blessure dans les cœurs en plus de l’argent public qui mérite forcément d’être récupéré.
Dans leur note synthèse, les inspecteurs d’Etat situent les responsabilités dans cette spoliation d’un patrimoine public symbolique et qui s’abritent derrière le décret présidentiel du 12 juillet « portant dissolution d’Air Guinée ».
Il s’agit de Cellou Dalein Diallo, Cheick Amadou Camara respectivement, Ministre des Transports et des TP, ministre des Finances
S’y ajoutent bien évidemment le PDG du groupe Futurelec et d’autres qui ont d’une manière ou d’une autre trempé dans ce marché : le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat, la Directrice nationale du trésor, le Directeur national du Portefeuille, le Directeur du cabinet Fidu-Inter, le Directeur national des Domaines et le Directeur national du Patrimoine bâti public. A ce beau monde se greffent ceux qui se sont graissé les doigts dans la manipulation des fonds destinés au règlement des droits des employés de la défunte compagnie. S’y retrouvent nommément, le Directeur national du Portefeuille de l’Etat et son homologue de l’Unité de privatisation ainsi que le secrétaire général et le chef de cabinet du Département des Finances.
La mission observe toutefois qu’elle n’a pas pu prendre langue avec beaucoup de personnes sus-citées et que celles qui ont daigné s’y prêter ont donné des réponses « peu convaincantes ».
Quoi qu’il en soit, il reste que la convention de cession des équipements et des installations de l’ancienne Air Guinée se décline en deux parties que la commission a pu passer au peigne fin pour les réévaluer conséquemment.
En l’espèce, la valeur revue des biens acquis par Mamadou Sylla (le Boeing, les deux moteurs de rechange et les deux générateurs électriques), la commission la fixe globalement à 7. 300 000 dollars. Ce qui est sans commune mesure avec les 5 000 000 de dollars initialement fixés au PDG de Futurelec.
Au niveau de l’unité de privatisation et du trésor public, ses paiements effectués sont de l’ordre de 110.000 dollars. Et puis, une lettre circulaire du ministre des Finances aurait autorisé à payer pour le compte d’Air Guinée le montant de 191 406 dollars, les anciennes factures. Tout compte fait, avec le bénéfice du doute, la commission remarque qu’en tout, pour cette opération de rachat sans égales, Mamadou Sylla n’aurait globalement acquitté que… 1 291 406 dollars.
Mais une autre brouille survient avec l’épisode de la révision du Boeing par la société israélienne Bedek aviation group. A propos, il saute aux yeux que le propriétaire d’Air Guinée express soutient une chose et son contraire. D’une part, il dit avoir versé 844 682 dollars pour la facture de l’entretien. Or, au niveau de l’unité de privatisation, on ne retrouve aucune trace de cette opération. D’autre part, il dit avoir laissé en gage les deux moteurs d’avion, dans l’attente d’honorer la facture. Il se trouve par ailleurs que bien avant la convention de cession que pour l’entretien du même avion, l’Etat avait déboursé un montant de 881 000 dollars.
Concernant les dettes locatives-contrat commercial et le bail à construction compris- malgré « le prix ami » qui lui a été fait, le concessionnaire restait devoir en 2002 déjà, la somme de 92 431 150 GNF au trésor public. Et dans l’esprit et la lettre du contrat qui le lie à l’Etat, quatre ans après, ce dernier était fondé à le résilier pour non respect des engagements du bénéficiaire. Et pourtant, depuis, les autorités compétentes en la matière n’ont pas pris leur responsabilité.
Et c’est ce qui a encore prévalu dans le règlement du passif social (arriérés de salaires, indemnités de séparation et impayés à la CNSS) qui portait sur 1 404 951 431 GNF. Alimenté par le concessionnaire à hauteur de 988 000 000 GNF et par le budget national pour 655 795 783 GNF, ce fonds a curieusement été en dépassement. Et l’excédent de 238 844 352 GNF s’est volatilisé entre l’unité de privatisation et le Portefeuille de l’Etat sans autre forme de justification.
Pour l’histoire, voilà à quoi nous ont conduit les promoteurs de cette affaire qui, un jour, avait permis à Mamadou Sylla de s’engager à « exploiter exclusivement dans le cadre du transport aérien, les infrastructures et installations » qui lui ont été concédées. Quatorze ans après, cherchez ce qu’il en est advenu.
Amadou Makissa Diallo Le diplomate
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