Guinée : Vers la création d’une Commission Vérité Justice et Réconciliation ( Ministre Mamady Youla)

Discours du Premier Ministre Mamady Youla à l’occasion de l’Atelier National d’appropriation et de validation technique de l’Avant-projet de Loi portant création, mandat, composition, organisation et fonctionnement de la Commission Vérité Justice et Réconciliation

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions de la République,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Co-présidents,
Honorables Députés,
Mesdames et Messieurs les membres des Corps diplomatiques et Consulaires et les Représentants des organisations internationales,
Mesdames et Messieurs les Représentants des organisations de la société civile,
Autorités administratives, militaires et religieuses,
Mesdames et Messieurs,
La cérémonie qui nous réunit ce 12 avril 2017 revêt une importance capitale dans notre cheminement commun vers une Guinée réconciliée avec ses filles et fils au regard de notre passé qui a été non seulement marqué par des événements glorieux, mais également par des violations graves des droits de l’homme dont les stigmates restent encore vivaces dans bien de nos familles.
Pouvons-nous espérer libérer toutes les énergies pour construire ce pays si nous oublions cette partie de notre passé ?
Face à cette problématique si complexe et porteuse de grands enjeux pour l’avenir de notre si beau pays, le Chef de l’Etat a confié au Grand Imam de la Mosquée Fayçal, El hadj Mamadou Saliou Camara et à Mgr Vincent Coulibaly, Archevêque de Conakry, la lourde tâche de mener des réflexions profondes et de nous proposer des modalités de traitement de notre passé. Après cinq ans de travaux, cette Commission a remis le 29 juin 2016, un rapport de plus de 300 pages assorti de 23 recommandations principales.
Mesdames et Messieurs,
Comment mettre en œuvre ces recommandations? C’est le lieu pour moi d’exprimer une fois encore la satisfaction du gouvernement pour la qualité du travail effectué par la Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale et qui sert désormais de  repère pour la conduite du processus de réconciliation dans notre pays.
Le 2 Octobre 2016, dans son adresse à la Nation dans le cadre de la célébration de notre accession à la souveraineté nationale, Son Excellence Monsieur le Président de la République, le Professeur Alpha Condé a fait cette déclaration que je cite: «  58 années après notre accession à la souveraineté internationale, la Guinée a traversé des épreuves, ouvert des chantiers pour porter les nobles idéaux de progrès qui fondent notre pays afin de pérenniser les efforts consacrés par l’ensemble des forces vives de notre pays pour construire une Nation forte, unie, juste et fraternelle.
Cette histoire commune  donne  plus d’espoir à notre peuple, à nos jeunes, nos travailleurs, aux femmes qui constituent la principale force et la richesse de notre nation.  Aujourd’hui, je lance un appel à chacun d’entre vous, hommes, femmes, jeunes, pour tirer les leçons de notre passé commun, pour défendre les valeurs de la démocratie et de l’état de droit, et d’œuvrer pour l’entente et la cohésion sociale. C’est pourquoi j’encourage le Premier ministre à s’approprier le travail de la Commission de la réconciliation nationale et préparer un calendrier réaliste pour la mise en œuvre des recommandations de celle-ci en relation avec nos différents partenaires ».
Mesdames, Messieurs,
Après avoir pris connaissance du rapport de la Commission provisoire ainsi que ses recommandations, j’ai mesuré combien la recherche de la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non répétition devaient constituer les éléments structurants de notre processus de réconciliation nationale.
A l’analyse, les 23 recommandations formulées par la CPRN peuvent se résumer en six principales parties.
La première partie fait état des recommandations générales et met en relief les engagements internationaux de la Guinée comme mentionnés dans la constitution et les instruments internationaux des droits de l’homme ratifiés par le pays.
La deuxième partie porte sur le droit à la vérité, la mise en place d’une commission vérité reposant sur les standards internationaux ainsi que sur ses compétences, la période que doit couvrir ses missions (1958-2015), le profil de ses membres, le mode de sa création par voie législative ainsi que les mesures d’apaisement des victimes.
Les troisième et cinquième parties concernent les réformes institutionnelles (justice, forces de défense et de sécurité, administration publique, administration électorale, éducation, secteur foncier).
Quant à la quatrième partie, elle porte sur les réparations de toutes sortes, notamment individuelles, collectives, matérielles et symboliques.
Enfin la sixième partie a trait au suivi des recommandations avec un rappel de l’urgence de la création d’une commission vérité ainsi que le maintien du secrétariat technique de la CPRN comme cellule de suivi de la mise en œuvre des recommandations des consultations nationales.
Mesdames et Messieurs,
Comme vous le voyez bien, trois constats se dégagent de la revue des recommandations de la CPRN. Tout d’abord, les réformes institutionnelles sont déjà en cours et les actions de leur dynamisation doivent se poursuivre conformément à la déclaration de politique générale que j’ai faite à l’Assemblée nationale en mai 2016. Ensuite, les recommandations sur la création de la commission vérité exigent une réflexion plus approfondie, une démarche méthodologique appropriée car au regard des conclusions de la CPRN, elle doit se faire par voie législative, afin de lui conférer la légitimité nécessaire aux yeux des victimes ainsi que de tous les acteurs politiques et sociaux. Enfin, la mise en œuvre des recommandations de la CPRN exigent un accompagnement de nos partenaires bilatéraux et multilatéraux.
A cet effet, je voudrais exprimer la profonde reconnaissance du Gouvernement au Système des Nations Unies en général, et au Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme en particulier, pour les conseils techniques avisés qu’il donne à la Guinée depuis l’entame de ce processus combien de fois sensible et difficile. Merci aussi à madame Marguerite BURKURU, la facilitatrice principale qui a accepté de se joindre à nous pour cet atelier. Mes remerciements vont également à son Excellence Monsieur l’Ambassadeur des Etats Unis d’Amérique pour sa disponibilité renouvelée à nous accompagner. Je sais combien vous attendez les conclusions de cet atelier en vue d’une formulation plus programmatique et opérationnelle de votre soutien. J’invite également tous les autres partenaires à s’engager à nos côtes afin que le processus guinéen soit un succès qui inspirera d’autres expériences.
Mesdames et Messieurs,
En décidant d’organiser le présent atelier d’examen de l’avant-projet de loi élaboré par le Comité technique sur la réconciliation dont j’assure le leadership, le gouvernement montre une fois encore sa volonté de gérer ce dossier dans la plus grande transparence. Notre souci est de nous assurer que les desiderata exprimés lors des consultations nationales ont été effectivement intégrés dans l’avant-projet de loi portant création de la Commission vérité, avant sa transmission au Gouvernement.
Cet avant-projet de loi et son exposé des motifs sont le résultat du travail du Comité technique que nous avons mis en place pour nous assister dans l’opérationnalisation des recommandations de la CPRN. Ce texte a besoin de vos contributions pour être amélioré si nécessaire. Il doit également répondre aux standards internationaux en matière de justice transitionnelle.
Cependant, je voudrais attirer notre attention sur un certain nombre de considérations qui me semblent très importantes. Tout d’abord, la Commission vérité que nous voulons mettre en place en Guinée doit jouir d’une indépendance politique et opérationnelle. Ensuite cette Commission ne peut être un prêt à porter de l’extérieur. Elle doit correspondre à nos réalités guinéennes tout en se conformant aux principes de la lutte contre l’impunité. Par ailleurs, la Commission Vérité de la Guinée, comme toutes les autres qui ont été créées à travers le monde depuis 1974, n’aura le pouvoir ni de juger ni d’amnistier qui que ce soit. Le pouvoir de juger appartient au pouvoir judiciaire. Dans le cadre de la réforme du secteur de la justice, nous ne ménageons aucun effort afin de faire de notre justice, un outil au service de la consolidation de la paix et de l’Etat de droit.
Enfin, la Commission Vérité de la Guinée, ne peut atteindre les résultats espérés par nos concitoyens si chaque Guinéen ne fait pas un examen minutieux devant le tribunal de sa conscience et décide que nous devons, pour l’avenir de nos enfants, éviter la récurrence des  violations des droits de l’homme. A cet effet, je voudrais souligner que nous devons avoir en Guinée une mémoire. Une mémoire pour enseigner à nos enfants que leur identité différentielle est une richesse pour construire un plus grand pays qui fera la fierté de leurs progénitures. Nous devons faire preuve de responsabilité en capitalisant sur toutes les richesses dont notre pays a si gracieusement été doté en amenant nos filles et fils à se tenir les mains sans aucune considération d’ethnies, de religion ou politique.
Comme le rappelait si bien Mgr Desmond Tutu qui a dirigé la Commission Vérité de l’Afrique du Sud dans son célèbre ouvrage, Il n’y a pas d’avenir sans pardon publié aux Editions Albin Michel : « Nous avons gardé le silence et nous avons regardé droit dans les yeux de la bête immonde de notre sombre passé. Ayant surmonté cette terrible épreuve et prenant conscience de notre commune humanité, nous commençons à réaliser que nous sommes capables de surmonter les affrontements d’hier et nous tendre la main…Nous avons ainsi contribué à promouvoir l’unité nationale et la réconciliation ».
C’est avec cette citation pleine de sagesse et d’espérance d’un passé assumé et d’un avenir partagé que je souhaite au nom de Son Excellence Monsieur le Président de la République le Professeur Alpha Condé, plein succès à nos travaux.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Mamady Youla
Premier Ministre, Chef du Gouvernement

 

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