Guinée : Qui avait fait arrêter l’actuel Président Alpha Condé en 1998 ?

ACTUCONAKRY.COM / Concernant mon implication présumée dans l’arrestation d’Alpha Condé, je crois qu’il est maintenant temps d’élucider certaines choses. Après tout,  il est naturel,  étant  des êtres humains,  que  nous  ayons des  opinions divergentes. Ces propos  sont de Dr Koureissy Condé, ancien ministre de la Sécurité. Depuis un certain temps, en effet,   il  est au cœur d’une campagne médiatique et de communication laissant entendre qu’il est celui qui, sous le règne de LANSANA CONTÉ, avait fait arrêter Alpha Condé. Des accusations qu’il dit ne pas comprendre parce qu’à l’en croire, les divergences qu’il a avec le chef de l’État ne devraient pas justifier qu’il soit diaboliser via des « allégations qui ne reposent que sur du néant ».

Le déclic

Il faut néanmoins dire que ce regain de tension entre certains de l’entourage d’Alpha Condé et Sekou Koureissy Condé est parti de multiples sorties médiatiques de ce dernier. En particulier, il y a peu, par rapport aux dernières crises dans le pays et se penchant en particulier sur celles, récurrentes, qui agitent l’axe de la route le Prince, le président de la Convention des acteurs non étatiques de Guinée (CANEG), avait mentionné l’affaire Kaporo-rails, comme une des causes profondes de la contestation des jeunes de l’axe. C’était chez nos confrères de Lynx FM. Il avait alors été vertement interpellé par l’actuel ministre du Tourisme et de l’Hôtellerie, Thierno Ousmane Diallo, chef de quartier de Kaporo-rails, à l’époque des faits. De la part de Sekou Kouréissy Condé, ce dernier avait alors dénoncé une certaine incohérence, en ce sens qu’à l’époque du déguerpissement de Kaporo, le président d’African Cris Group (ACG) était aux commandes du ministère de la Sécurité. Et depuis, entre les deux hommes, la polémique s’est installée au point que fil en aiguille, Thierno Ousmane Diallo en est venu à déterrer ces vieilles accusations qui imputent à Sekou Kouréissy Condé la responsabilité de l’arrestation d’Alpha Condé à Pinè. Et bien entendu, les communicants favorables au pouvoir, en raison des critiques de Kouréissy contre la gouvernance actuelle, y ont vu du pain béni qu’ils exploitent via les réseaux sociaux notamment. On a ainsi pu lire par exemple la publication suivante sur facebook : « Koureissy Condé se fait passer pour un apôtre des droits de l’homme, alors qu’il a arrêté Alpha Condé en 1998 ». De fait, c’était là une des déclarations de Thierno Ousmane chez nos confrères d’Africaguinee.

L’opinion publique, quant à elle, suit ce ping-pong médiatique, avec une relative circonspection. Car autant les déclarations sont fracassantes et les accusations accablantes, autant cela reste sans preuves irréfutables.  On fonctionne sur la base des approximations et des déductions à la cohérence plutôt douteuse. Et bien entendu, avec autant de légèreté, les proches de Koureissy Condé n’hésitent pas à faire valoir une conspiration destinée à descendre un acteur de la scène publique qui dérange via ses sorties osées et tranchantes. « A chaque intervention dans les médias, sans le savoir,  Dr Koureissy Condé  sert plusieurs million  de gens dont la plupart ne le rencontreront jamais. Il a consacré sa vie à prévenir la guerre et à défendre les droits humains, pas pour l’argent où la gloire mais, parce que quand il y a le feu, il faut qu’il fasse tout son possible pour l’éteindre », suggérait ainsi un internaute, comme pour dire à Koureissy de ne pas se laisser distraire par ce débat.

Au-delà des rumeurs

 La divergence entre  Alpha Condé, actuel président de la république de Guinée et Dr Sékou Koureissy Condé,  président de la convention des acteurs non étatiques de Guinée (CANEG) est aussi vieille que le multipartisme en Guinée.

 En 1992 pourtant,  les deux personnalités dont  les  partis politiques – le Rassemblement  du peuple de Guinée ( RPG) pour l’un et  l’Alliance  pour le renouveau  national (ARENA) pour l’autre- venaient nouvellement d’être agrées,  avaient une  chance  de conquérir le pouvoir dans une même équipe. Les deux leaders sont tous originaires  de Kouroussa, une préfecture de la Haute Guinée. De ce fait,   la balance politique de l’ethno stratégie favorisait leur union. Hélas !

Mais ils s’étaient heurtés à un obstacle idéologique. D’abord,  Sékou Koureissy,  fruit de l’école guinéenne, dans la dimension  intellectuelle et socioculturelle, était plus ou moins dans la ligne panafricaine du PDG.  Tandis qu’Alpha Condé, produit de l’université française,  affichait une vision totalement opposée. Alpha  a naturellement horreur des contradictions à  l’extrême ; Koureissy, lui, ne pouvait lui faciliter la tâche à travers son indépendance de parole et  de position. De toute évidence, leur cohabitation était incertaine.

Dans cette logique, alors que  le leader du RPG gagne la réputation de  n’accepter aucun compromis avec ses adversaires politiques,  celui de l’ARENA devient  en 1995 membre fondateur de l’Union  des partis du centre,  avec pour  ambition  de faciliter le rapprochement entre le Parti de l’unité et du progrès (PUP), parti au pouvoir et l’opposition dure, composée alors de  l’Union pour la nouvelle république (UNR) de Bâ Mamadou, du Rassemblement du peuple de Guinée(RPG) d’Alpha Condé  et du Parti du Renouveau et du Progrès (PRP) de Siradiou Diallo.

Ainsi, pour son rôle déterminant dans les négociations entre les deux bords,  Koureissy Condé bénéficie de l’estime des caciques  du pouvoir, au premier rang desquels Ibrahima Kassory Fofana,  Sékou Mouké Yansané,  Aboubacar Somparé, Souabou  Deen  Touré, El Hadj Aboubacar Biro Diallo etc. Par la suite, il est nommé  ministre de la Sécurité en 1997. « Alpha Condé,  n’a jamais digéré  cette nomination.  A l’époque, je crois, tout rapprochement avec le pouvoir était pris pour une trahison chez les malinké », explique-t-il

Dans ce climat tendu,  le leader du RPG est  arrêté  à Pinè,  à la frontière guinéo-ivoirienne, au lendemain de l’élection présidentielle  de 1998 -au compte de laquelle il est candidat.  Ses partisans crient au complot. Du coup, en raison du caractère stratégique et régalien de sa fonction, le ministre de la Sécurité, Sékou Koureissy  est désigné par les rumeurs, comme responsable  de l’emprisonnement d’Alpha Condé. « Un jour, mon frère  Bakary Keita Pegry, au sortir d’une réunion  du manding, m’a dit que mon sort était scellé et que je devrais porter le chapeau de l’arrestation du président du RPG », raconte l’ancien ministre de la Sécurité. Dans les jours qui suivent, cette nouvelle  -vue au départ  comme  un simple règlement de compte- persiste, évolue et d’une certaine manière, se propage.  Au point de devenir une vérité absolue  pour une frange importante de la population, notamment les partisans du RPG. Plusieurs fois de suite,  en effet, Koureissy Condé s’applique  à convaincre les gens qu’il a été le dernier membre du gouvernement à être informé de cette arrestation. En vain !

Les…  vérités

Toutefois,   quant  à  la réalité de son implication réelle dans ce dossier, beaucoup d’observateurs ont commencé à en douter quelques temps seulement  après le transfèrement du président du RPG à la maison centrale de Conakry.  Et pour cause,  au sommet de l’Etat,  un débat houleux avait été constaté : un camp voudrait profiter des préjugés des partisans  du Rassemblement du Peuple de Guinée pour faire de  Koureissy Condé,  acteur principal de la combine qui  a conduit  à priver Alpha Condé de sa liberté.  A cette démarche,  le ministre de  la sécurité et ses intimes ont opposé une résistance farouche. «  La communauté internationale suivait le dossier de près », déclare un ancien ministre qui a requis l’anonymat. Selon lui, la tension s’exacerbait au fil du temps. Conséquence : de son poste ministériel, Koureissy Condé paye le prix de son refus de porter une responsabilité qu’il ne reconnait pas. «  D’autres facteurs ont aussi contribué à mon départ du gouvernement », révèle-t-il avec sourire aux lèvres.

En dépit de son limogeage, le stratagème ourdi au plus haut sommet pour le faire plonger  a eu  un début d’exécution  lors du procès Alpha Condé.  A la barre, un ‘’accusé à charge’’,  Lamarana Bah a subitement  affirmé avoir reçu trois faux passeports de l’ex-ministre de la Sécurité, sans être à mesure d’expliquer  le pourquoi  ou tout au moins présenter les documents concernés.

 Dans sa publication qui a suivi cette audience,  l’hebdomadaire  ‘’L’œil du peuple’’ avait alors écrit : « la déclaration de Lamarana Bah, apparemment anodine  dans  le fleuve d’incohérences  que devient  ‘’L’ affaire Alpha Condé’’   est en réalité l’amorce d’un tournant capital dans la dite affaire ; la porte ouverte à l’amalgame, la délation systématique  et la manipulation. »

Egalement – dans son éditorial signé par Siaka Kouyaté le 10 juillet  2000- le premier journal privé du pays,  ‘’Le citoyen’’  a souligné : « dans un pays  où la recherche de lien ethnique prime sur les considérations républicaines ou patriotiques, Koureissy Condé est  un exemple à détruire, à effacer de manière radicale de la conscience collective ».  Plus loin, Siaka Kouyaté a affirmé : «affaibli par l’exercice du pouvoir public dans sa partie  la moins humaine, attribut essentiel du pouvoir public, c’est-à-dire la police,  il ne coûte rien de livrer Koureissy Condé  en pâture pour se sortir de l’impasse liée à l’affaire Alpha Condé. Rejeté par les siens à partir d’une logique qu’il ne reconnait pas, il ne représente plus rien  sur le plateau de la balance politique de l’ethno stratégie.  Il n’est qu’un individu sans défense, livré pour services rendus à la nation. »

A sa libération, aussi bien en Guinée qu’à l’étranger,  Alpha Condé a subi de rudes interrogatoires, liés   à la prétendue  implication  de l’ex-ministre de la sécurité dans son arrestation.  Si fait qu’à l’occasion d’une rencontre organisée aux Etats par  la communauté mandingue, selon un article paru  dans les années  2000 dans le canard ‘’ Soleil’’,  Alpha Condé a tranché : «  je n’ai jamais dit à personne que c’est Koureissy  qui m’a arrêté.» Mais vingt ans après, il en faudra bien plus pour  éclairer la lanterne des fanatiques du régime actuel. A condition que la rumeur ne soit pas expressément entretenue pour, autant que faire se peut,  désarçonner un  adversaire qui,  pourtant, semble dédier sa vie à prévenir la guerre  à travers le monde. En toute connaissance de conséquences !

Gilles Mory Condé

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