C’est ce dimanche 27 décembre 2020 que les électeurs Centrafricains se rendent aux urnes pour un double scrutin présidentiel et législatif lourd d’incertitudes. Malgré l’intransigeance du président sortant Faustin Archange Touadéra qui exclut tout report des élections. Pourtant, le pays est au bord d’un conflit généralisé, avec les attaques menées depuis quelques jours par des groupes armés décidés à jouer leur partition.
Le président sortant Faustin-Archange Touadéra brigue un second mandat. Il peut compter sur une grande coalition, le Mouvement des Cœurs unis, renforcé par son alliance avec le parti UNDP de Michel Amine, arrivé second lors des élections législatives de décembre 2015. En face de lui, Anicet Georges Dologuélé, l’ancien président François Bozizé, chassé du pouvoir en mars 2013, les anciens Premiers ministres Martin Ziguélé et Mahamat Kamoun, ou encore l’ex-présidente de la transition Catherine Samba-Panza.
Si l’invalidation de la candidature de l’ex-chef d’État centrafricain à la présidentielle a suscité des alliances politiques au sein de l’opposition, elle serait aussi, de l’avis de nombreux observateurs, derrière le soulèvement des groupes armés, même si les proches de Bozizé le réfutent. Chassé du pouvoir en mars 2013 par les rebelles de l’ex-Séléka, François Bozizé, présenté comme le tireur de ficelles des évènements en cours, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis en mars 2014 par le tribunal de grande instance de Bangui.
Il faut le dire, la situation en Centrafrique est très préoccupante. Dans la journée d’hier, mardi 22 décembre, des combats ont opposé des éléments de la coalition des groupes armés aux forces centrafricaines et russes, alliés du régime en place. Même si, pour l’heure, il n’y a pas encore un bilan exhaustif des combats, l’inquiétude des populations atteint son paroxysme. On craint le pire. Le Mouvement cœurs unis du président Touadéra a publié un communiqué dénonçant « le lâche assassinat de nos vaillants éléments » et présentant ses condoléances aux familles des disparus. Il y aurait également des pertes importantes dans les rangs des groupes armés. Plus que quelques jours avant la tenue des élections, la Centrafrique semble s’enliser dans la chienlit.
Les affrontements les plus significatifs ont lieu dans le voisinage immédiat de certaines localités de l’intérieur, notamment Boali, située à 95 km au nord-ouest de Bangui et Bossembele, une soixantaine de km plus au Nord. Des combats ont notamment lieu dans la ville de Bambari, dans le centre du pays, opposant les éléments du groupe armé UPC [Unité pour la paix en Centrafrique] et les forces armées centrafricaines.
Des accrochages sont signalés à une dizaine de kilomètres de la ville de Sibut. Si la situation était plutôt calme à Boali, selon nos sources, la localité de Bossembélé est, pour sa part, coupée du monde (accès bloqué, signal téléphonique coupé). On redoute surtout une jonction des renforts d’hommes armés, notamment à proximité des localités de Bombo et Mbaiki, au sud de Bangui, vers la frontière avec le Congo-Brazzaville.
Boali, une ville symbole, avait donné son nom à l’opération menée par l’armée française en octobre 2002. Une opération qui s’est déroulée durant toutes les guerres civiles successives en RCA avant de prendre fin en 2013, avec le déclenchement de l’opération Sangaris, la 7e intervention militaire française ( décembre 2013 – octobre 2016) depuis l’indépendance du pays en 1960. Sangaris, « Sangaris », en référence à un papillon rouge qu’affectionnent les collectionneurs, pour caractériser l’intervention en Centrafrique, prévue pour durer une courte période.
Quant à Bossembele, elle garde toujours le souvenir macabre du massacre perpétré en janvier 2014 par les combattants anti-balaka, après le départ des troupes Sélékas. En l’absence des forces de la MISCA, la force d’interposition mise en place par l’Union africaine, et des soldats français de l’opération Sangaris, des civils, musulmans pour la plupart, sont attaqués et de nombreuses victimes dénombrées.
Alors que la date du premier tour de l’élection présidentielle est fixée au dimanche 27 décembre prochain, il ne fait plus aucun doute que les conditions d’une bonne tenue du scrutin ne sont plus possibles sur toute l’étendue du territoire centrafricain, dont pratiquement les trois quarts sont sous le contrôle de groupes armés, une quinzaine au total, dont le principal grief à l’encontre du pouvoir en place à Bangui est le non respect des dispositions de l’accord de paix signé en février dernier à Khartoum (Soudan).
Les plus en vue sont deux influents groupes de l’ex-Séléka (alliance en langue locale), à l’origine de la chute de François Bozizé, dissoute en 2013. Ces deux groupes armés créés par d’ex-généraux de la Séléka ont aujourd’hui une grande influence : il s’agit du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) et de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC).
Le FPRC, basé dans le nord du pays, à Birao et Ndele, est dirigé politiquement par Noureddine Adam et militairement par Abdoulaye Hissene, tous deux sous sanctions de l’ONU. Son influence s’étend jusqu’au centre du pays (de Kaga Bandoro à Bria), région riche en ressources minières.
L’UPC, emmené par Ali Darassa, est lui basé dans le centre, à Alindao et Bambari. Jusqu’en 2017, le FPRC et l’UPC combattaient pour le contrôle du centre de la Centrafrique. Ils sont alliés depuis octobre 2017, période à laquelle ils ont signé un accord de cessation des hostilités.
Un troisième ex-général de la Séléka garde une influence notable: le Tchadien Mahamat Al-Khatim, qui a créé en 2015 le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC). Allié du FPRC et de l’UPC, le MPC est installé à Kabo et le long de la frontière tchadienne, dans le nord du pays.
En dehors de ces groupes armés, il y a des groupes anti-balaka épars. Les milices anti- balaka, créées en 2013 en réaction à la prise de Bangui par la Séléka en s’autoproclamant d’«autodéfense», sont aujourd’hui divisées en deux branches.
Les données mêmes de l’élection présidentielles sont anecdotiques, au regard du climat insurrectionnel causé par les attaques des groupes armés dont l’objectif, au delà même du simple fait de bloquer le processus électoral, est de prendre le pouvoir par la force. Tâche titanesque certes, si l’on considère la loyauté affichée par les FACA (forces armées centrafricaines) à l’endroit du président Touadéra qui a entrepris, il est vrai, un travail colossal d’équipement et de réarmement moral des troupes. Mais aussi, avec l’engagement des troupes de la MINUSCA (13 000 hommes) renforcées par les États voisins et surtout, des éléments de sécurité fournis par Moscou.
La République centrafricaine est devenue en quelques mois un symbole fort de la présence russe sur le continent africain. La coopération militaire entre la Russie et le gouvernement centrafricain de Faustin-Archange Touadéra a débuté il y a juste trois ans, en 2017. La Russie est de plus en plus présente dans le pays, assurant l’instruction militaire, ainsi que la protection des mines et du palais présidentiel. En octobre dernier, l’armée centrafricaine toujours soumise à un embargo sur les armes depuis 2014 et dépourvue d’équipement lourd a réceptionné six blindés sur lesquels flottent les drapeaux russe et centrafricain. Des BRDM-2, véhicules de transports de troupes conçus sous l’ère soviétique dans les années 60. Dix autres blindés supplémentaires sont attendus prochainement. Une livraison d’armes, présentée comme un don, qui est pourtant loin d’être une première. Les clauses de cette coopération militaire ont été définies depuis novembre 2017. Dès janvier 2018, déjà, un premier lot d’armes avait atterri sur le tarmac de l’aéroport de Bangui en provenance directe de Moscou.
La vente d’armes a donc constitué une porte d’entrée pour le Kremlin en République centrafricaine selon Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique au CERI de Sciences-Po Paris et chargé de recherche au CNRS. « Les conditions de l’arrivée des Russes en Centrafrique sont liées aux sanctions onusiennes sur la Centrafrique qui interdit l’achat d’armement. La réalité, c’est que les groupes armés étaient capables de s’approvisionner en armes via le marché d’armes du Darfour ou du Tchad. Et seul le gouvernement face aux groupes armés n’avait pas la possibilité de s’armer. On a voulu réformer l’armée et l’appareil sécuritaire sans donner la possibilité à cette armée nationale de réellement s’équiper », explique le chercheur.
À quelques jours de la présidentielle et des législatives, la tension est à son comble entre le président sortant, Faustin-Archange Touadéra et ses adversaires. Après le calme relatif de la veille, il semble qu’une nouvelle offensive coordonnée soit en cours. Les objectifs de la coalition restent incertains : descendre sur Bangui ou empêcher la tenue du scrutin ? Tout porte à croire à cette seconde éventualité. Une équipe de l’Autorité nationale des élections a été directement visée dans le centre du pays. Et dans la matinée du mardi, à Bossangoa, les anti-balaka ont chassé les électeurs qui venaient prendre leurs cartes à la mairie avec des armes.
Il faut sauver le soldat Touadéra. Même dans son propre camp, le président Touadéra subit la pression de certains alliés mécontents de ne pas disposer des fonds de campagne tels que stipulés par les accords liant les membres de la mouvance présidentielle. Entre le marteau de ses souteneurs et l’enclume des groupes armés déterminés à jouer les trouble-fêtes, il devra choisir. Et vite. Le compte à rebours est déjà bien engagé.
Bonne semaine à tous !
Karim DIAKHATÉ Directeur de Publication du magazine LE PANAFRICAIN
Coordonnateur de la Rédaction du magazine AFRIQUE DÉMOCRATIE