Charles Blé GOUDE « La CPI a certainement fini avec moi mais moi, je n’ai pas fini avec la CPI » (L’intégralité d’une interview choc)
Charles Blé Goudé, ancien pensionnaire de la Cour pénale internationale (CPI) a accordé le jeudi 24 juin un entretien à France 24. Afriksoir.net vous propose l’intégralité de l’interview choc.
Le président Gbagbo est en Côte d’Ivoire, vous vous êtes toujours en attente de votre passeport ?
Tout à fait, j’attends. J’ai appris à être patient. C’est ce que la prison m’a appris. Le président Gbagbo est retourné en Côte d’Ivoire, je dois dire que c’est un soulagement pour moi. Parce que c’était une lourde responsabilité pour moi d’être aux côtés d’un homme d’une telle envergure en prison. Gérer moi-même au quotidien en prison et faire en sorte que lui ne puisse pas sentir le poids de cette prison.
Aujourd’hui, il retourne en Côte d’Ivoire, je dois vous dire mission accomplie. Parce que face à l’épreuve, n’importe quel être humain aurait pu céder et choisir sa vie en lui. Mais je n’ai pas servi de protocole à Laurent Gbagbo. Je suis resté attaché et fidèle à mes convictions. Aujourd’hui que Gbagbo est rentré en Côte d’Ivoire, c’est un ouf de soulagement pour moi.
Alors on est heureux de vous avoir ici sur ce plateau, on a tout de même envie de vous poser une question. Vous n’avez pas de passeport, alors comment vous êtes venu ici (Ndlr : en France) sans document ?
Non, je suis venu ici à Paris avec un document. Mais pas un document ivoirien. Les autorités françaises que j’ai sollicitées à travers l’administration de la Cour pénale internationale, ils m’ont donc délivré un laisser-passer de type B qui me permet de rester sur le territoire français pendant quinze (15) jours que j’ai sollicité. Je voudrais ici profiter pour dire merci aux autorités françaises qui m’ont permis d’être là pour pouvoir dire merci aussi aux Ivoiriens et aux Africains, communier avec eux. C’est pour ça que je suis-là.
Vous avez été acquitté complètement après avoir passé cinq (05) ans en prison, vous avez été accusé de crimes contre l’humanité, j’imagine qu’il y a un sentiment d’injustice. Comptez-vous demander réparation à la Cour pénale internationale ou tout simplement tourner la page ?
Je l’ai dit à un de vos confrères que la Cpi a certainement fini avec moi mais moi, je n’ai pas fini avec la Cpi. Non. Plus de sept (07) années de ma vie ont été bouffées. J’ai été présenté au monde entier comme un criminel. La procédure a été longue, lente, elle m’a épuisé moralement. Je n’ai pas vu mes enfants grandir. Ils ont grandi presque dans la prison où ils venaient me voir. C’était difficile. Et puis à la fin, je suis innocent.
J’ai saisi donc mon équipe de défense. Je puis vous dire en ce moment que la semaine dernière, la présidente de la Cpi pour introduire une requête en réparation qui a été introduite et je pense que j’ai jusqu’au mois d’août pour en finir. Et nuit et jour, je travaille là-dessus avec mon équipe de défense. Oui je demande dommages et intérêts.
Alors vous avez été acquitté par la Cpi mais vous êtes toujours condamné par la justice de votre pays pour viol, acte de torture, violence aggravée, est-ce que vous espérez une grâce ou une amnistie ?
Au-delà de la grâce, au-delà de l’amnistie, il faut d’abord préciser que d’autres charges que vous venez de citer sont constitutives de ce que l’on appelle les crimes contre l’humanité. Et tout cela est relatif à la crise postélectorale. Crise pour laquelle, j’ai été conduit devant la Cpi par les instructions de mon pays. J’ai été acquitté. Cela dit, je peux comprendre ce dont vous avez parlé.
Mais le chef de l’Etat ivoirien a parlé de réconciliation, a parlé de tourner cette page et je pense que nous espérons pouvoir profiter de cela parce qu’il faut éviter de toujours remuer le couteau dans la plaie. Il faut tourner cette page. Et j’espère, je vais leur demander, je demande encore au chef de l’Etat ivoirien de faire un geste en ma faveur pour que je puisse rentrer dans mon pays. Soit une grâce soit une amnistie mais tout pouvoir lui revient.
J’aimerais votre réaction de la condamnation, hier, de Guillaume Soro condamné à la perpétuité (Ndlr mercredi) qui a fait la » Une » de notre journal de l’Afrique. Notre invité d’hier soir (Ndlr mercredi soir) Sylvain N’guessan nous a confié qu’en politique, rien n’est perdu que même Alassane Ouattara avait dû quitter le pays, qu’il s’était exilé et revenu quelques années après avant d’être élu président. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
Je ne voudrais pas faire de la philosophie politique. Je vais juste parler de la réalité de mon pays et de la spécificité de mon pays qui sort d’une crise très profonde. Au moment où l’on pensait que tout était fini, malheureusement en 2020 on a encore connu des morts. Pendant combien d’années, allons-nous continuer ce cycle ? Madame, les grandes nations qui ont connu le développement sont passées par là. Mais elles ont tiré les leçons et les enseignements de ce qu’elles ont connu comme crise. Les Etats-Unis d’Amérique sont un exemple aujourd’hui. Ils ont connu 620 mille morts pour quatre (04) ans de crise de 1861-1865, la guerre de sécession.
Le Rwanda a connu plus de huit cents mille morts en moins de trois (03) mois. Aujourd’hui, le Rwanda est un exemple en Afrique. Pourquoi, parce que ces pays ont su tirer les leçons de ce qu’ils ont connu comme crise. Je souhaite que mon pays puisse tirer les enseignements et que nous arrêtions ce cycle-là. Dans tous les cas, Guillaume Soro a été condamné à perpétuité, j’espère que son équipe de défense saura le défendre. Moi, je n’ai pas de commentaire à faire. Je parle de ce que mon pays doit essayer de réinventer l’avenir.
Quelles sont vos ambitions politiques pour 2025 ?
Nous sommes en 2021 et ce qu’il faut, c’est de faire en sorte que nous-mêmes, acteurs politiques, comprenions que nos ambitions personnelles ne sont pas au-dessus de la vie de nos concitoyens. J’ai des ambitions mais dans un premier temps, il faut rassembler les Ivoiriens, les mettre sur le chemin de la réconciliation, créer un climat apaisé, créer les conditions d’un développement qui pourra impacter la vie de nos concitoyens. C’est cela ma première ambition. Sinon je n’ai jamais caché que j’ai des ambitions pour diriger mon pays un jour. C’est pourquoi j’accepte tout ce qui m’arrive et cela n’est pas un secret. Mais cela n’est pas au-dessus de la vie de mes concitoyens.
Alassane Ouattara avait déclaré à France 24 et Rfi juste avant les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, en fin octobre dernier, lors d’un entretien qu’il était favorable à la limite d’âge des candidats et qu’il souhaite que ce soit le parlement qui prenne en main cette question. Cela signifierait que certains candidats seraient éliminés pour 2025 et ça sera le cas d’Alassane Ouattara lui-même, d’Henri Konan Bédié et aussi de Laurent Gbagbo. Est-ce que vous êtes favorable à cette limite d’âge. En d’autres termes, doit-on exclure les vieux de la politique ivoirienne ?
Laissons le temps faire les choses et laissons les circonstances décider de ce qui va se passer. On peut prendre une loi. Mais une loi doit être impersonnelle. Je ne peux pas m’associer à une loi qui vise des personnes. Qu’est-ce que cette loi peut apporter positivement au changement politique en Côte d’Ivoire pour que notre pays puisse embrasser et inventer l’avenir de nouveau. Ce qui est important pour moi, c’est ce consensus national que les Ivoiriens doivent se donner eux-mêmes pour pouvoir être à la hauteur de cette concurrence mondiale et que la Côte d’Ivoire prenne sa place dans le concert des nations. Le reste, ce sont de petits débats de personnes et c’est ce qui nous a amenés dans la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Le voir ainsi, exclure les vieux loups, c’est une expression que je n’aime pas d’ailleurs et je ne veux pas m’associer à cela. Le jour où moi je décide d’être candidat en Côte d’Ivoire, je n’hésiterai pas du tout et sans tenir compte de tout cela, parce que j’estimerai que je suis prêt et que j’ai un projet, j’ai une offre politique pour mon pays. C’est ce qui compte. Ce n’est pas une question de jeunes loups ou de vieux loups. On peut être jeune dans la tête comme être vieux dans la tête. Il y a l’âge biologique et il y a l’âge intellectuel.
Vous parlez d’apaisement en Côte d’Ivoire, l’on a bien entendu votre message. Quelles sont vos relations avec la France. Vous n’avez pas toujours eu de bonnes relations avec ce pays. L’on vous prête une phrase ‘’à chacun son Français’’, je ne sais pas si vous l’avez vraiment prononcé, mais quelles sont vos relations avec la France et quelles relations souhaitiez-vous créer avec la France ?
Je voudrais d’abord dire que cette phrase que l’on m’a prêtée et qui m’a créé tant d’ennuis, le procureur de la Cpi m’a présenté des excuses en audience à cause de cela. Car, elle a reconnu officiellement que je n’étais pas l’auteur de cette phrase. Oui, la France est un partenaire privilégié de la Côte d’Ivoire. Les relations entre la Côte d’Ivoire et la France sont vieilles d’amies et ce n’est pas à moi de les changer. Ce qu’il faut faire, c’est de les adapter aux besoins du moment, aux mentalités du moment.
La population ivoirienne a évolué, les mentalités ont évolué, les besoins ont évolué, la vision a évolué. Il faut les adapter à la relation pour que ce soit un partenariat gagnant-gagnant. Je ne dis pas le contraire de ce que le président français lui-même dit. Oui, je veux une nouvelle relation avec la France parce que la Côte d’Ivoire ne peut pas vivre en autarcie, c’est un pays qui doit être ouvert.
Retranscrit par Elvire Ahonon in Afriksoir