Alpha Condé: « Ebola a mis en lumière les carences de notre système sanitaire »
Le président guinéen salue la « mobilisation exceptionnelle » des donateurs pour aider les trois pays les plus touchés par le virus Ebola : le Liberia, la Sierra Leone, et donc la Guinée. A l’occasion d’une conférence organisée sur la question, l’ONU a annoncé avoir reçu des promesses de financement à hauteur de 3,4 milliards de dollars sur deux ans pour redresser leurs économies dévastées par l’épidémie de fièvre hémorragique.
Alpha Condé est à New York dans le cadre de cette conférence des Nations unies sur Ebola. Il est l’invité de notre correspondante à l’ONU, Marie Bourreau.
RFI : Vous êtes à New York dans le cadre de la conférence internationale de lutte contre Ebola qui est organisée par les Nations unies. Vous avez demandé un plan Marshall de trois milliards de dollars pour relancer vos économies et vos services publics. Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir été entendu par les donateurs ?
Alpha Condé : Non, on a demandé trois choses : un soutien budgétaire de ce montant, l’annulation de la dette et un plan Marshall. Le plan Marshall, c’est comme si nous sortions de guerre et c’est pour relancer notre économie, comme les Etats-Unis l’avaient fait ça pour l’Europe.
L’Union européenne a proposé 450 millions d’euros. La France a mis sur le tapis 200 millions d’euros. Est-ce que ce sont des chiffres qui sont suffisants ?
Bien sûr que non, nous sommes encore très loin de nos besoins. Nous avons besoin à 8 milliards de dollars pour les trois pays, donc nous en sommes encore très loin.
Concrètement à combien est-ce que vous estimez les besoins de la Guinée pour sortir de cette crise sanitaire ?
Ça dépend. Sur deux ans, 2015-2017, je crois que l’on a estimé cela à 2,5 milliards d’euros.
Pour l’instant, les chiffres que vous avez de la conférence sont très loin de ces deux milliards et demi, simplement pour un pays comme la Guinée ?
Evidemment, nous espérons qu’il y aura d’autres chiffres. Nous ferons le point à la fin de la conférence.
Entre les chiffres qui vont être annoncés et ce que vous allez recevoir concrètement, il y a souvent un gros décalage. Qu’est-ce que vous espérez à la fin ?
Le véritable problème, il ne faut pas que les annonces soient des effets d’annonces, mais que ça soit suivi concrètement. Très souvent, nous avons vu qu’on faisait des annonces, mais concrètement on atteignait à peine 20% de ce qui avait été annoncé. Nous espérons que cette fois-ci, étant donné que tout le monde a vu les conséquences d’Ebola sur notre économie, les chiffres annoncés, ce seront les chiffres réels qui seront déboursés.
Est-ce que vous craignez que l’attention de la communauté internationale se détourne d’Ebola ?
C’est un véritable risque parce qu’à un moment le monde se focalise sur un évènement et un autre évènement vient faire passer cela au second plan. Donc il y a effectivement un risque qu’Ebola passe au second plan. C’est pourquoi nous devons tout faire, pendant qu’il y a Ebola encore, pour obtenir le maximum parce que c’est évident que demain l’opinion internationale va s’intéresser à autre chose. C’est à nous de nous battre pour qu’on tire tous les avantages et qu’Ebola qui a été une catastrophe pour notre pays devienne une opportunité. Mais c’est maintenant qu’on doit le faire.
En quoi la crise Ebola est une crise particulière ?
C’est une crise particulière parce que, un, elle fait peur ; deux, elle a fait fuir tous les investisseurs au moment où la Guinée partait ; et trois, ça fait peur aux populations parce que c’est contraire à toutes nos habitudes et ensuite c’est une maladie inconnue. Quand vous avez une maladie inconnue qu’on ne sait pas comment guérir, ça panique tout le monde.
Vous êtes le président d’un pays meurtri. Aujourd’hui, quelle est la situation en Guinée d’un point de vue moral, économique et du point de vue de son secteur de santé ?
Du point de vue du secteur de santé, Ebola a mis en lumière les carences de notre système sanitaire, tout le monde se rend compte aujourd’hui que nous devons radicalement changer notre système sanitaire. Deuxièmement, notre économie est à terre parce qu’au moment où on a signé tous les contrats miniers pour plus de 35 milliards de dollars, Ebola est venu mettre la plupart de ces contrats à terre, les gens sont partis. Et aujourd’hui, l’économie et les finances sont à terre sans compter le coût humain, parce que non seulement il y a des morts, mais il y a des orphelins, des veuves, etc. c’est vraiment une catastrophe pour notre pays.
La Guinée a encore chaque semaine des cas d’Ebola dans des régions isolées. Comment vous allez vous adresser à ces communautés ?
Non, ce ne sont pas des régions isolées, ce sont des régions frontalières. C’est différent. Mais comme c’est limité à des poches, ça devient difficile. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Il faut que nous changions complètement notre façon de lutter contre Ebola parce que quand il y a plusieurs dizaines ou centaines de cas, c’est une chose, quand il n’y a plus que quelques cas, on est en train de réfléchir comment changer la politique pour nous adapter à cette situation actuelle.
Une question qui n’est pas liée à Ebola, mais qui est liée à l’autre grosse actualité guinéenne, c’est l’élection présidentielle du mois d’octobre. Moussa Dadis Camara, l’ex-chef de la junte guinéenne allié à l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), a annoncé son retour en Guinée et sa volonté de se présenter aux élections, est-ce que ça vous inquiète ?
Non, pour moi c’est un non-évènement. Je ne m’occupe pas de ça pour le moment, je m’occupe de guérir d’Ebola et de faire avancer la Guinée.
RFI