Affaire du port de Conakry: Necotrans réclame 132 millions d’euros à Bolloré

 

C’est le nouvel épisode d’une guerre qui fait rage depuis 5 ans. La douzième chambre de la Cour d’appel de Versailles va réexaminer le 1er décembre une partie de l’affaire du port de Conakry et déterminer si Bolloré était complice de la résiliation brutale de la concession portuaire de Necotrans en 2011.

Le groupe de logistique dirigé par Grégory Quérel réclame à Bolloré 132 millions d’euros de dommages et intérêts pour avoir été éjecté des eaux guinéennes au profit de son rival français.

En première instance, le 10 octobre 2013, le tribunal de commerce de Nanterre avait condamné, le groupe de Vincent Bolloré à payer 2,1 millions d’euros à son concurrent au titre des « investissements effectivement réalisés » par Necotrans et qui « ont bénéficié au nouveau concessionnaire » (Bolloré). Mais il avait débouté le logisticien français qui accusait Bolloré de « concurrence déloyale » et de complicité avec l’État guinéen.

Une plongée dans les arcanes de la Françafrique

Cette affaire qui plonge dans les eaux troubles de la Françafrique avait vu le président guinéen Alpha Condé, élu en décembre 2010, résilier le 8 mars 2011, la convention de concession du terminal à conteneurs du port de Conakry octroyée en 2008 pour une durée de 25 ans à Necotrans. Deux jours plus tard, la concession était confiée au groupe Bolloré. Lequel fait actuellement l’objet d’une enquête de la justice française qui le suspecte d’avoir participé à la campagne présidentielle d’Alpha Condé en 2010, via sa société publicitaire Havas, pour faciliter l’obtention des ports de Conakry et de Lomé (Togo), comme l’a révélé Le Monde.

« La Cour d’appel va devoir dire si oui ou non Bolloré était complice de la résiliation de la concession de Necotrans par l’État guinéen, indique à Challenges l’avocat Cédric Fischer, conseil de Necotrans et associé au cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés (FTMS). Nous sommes confiants car nous possédons des éléments forts qui penchent vers l’affirmative ». La défense de Necotrans repose notamment sur le témoignage sous serment du directeur adjoint du Port de Conakry de l’époque qui a affirmé devant la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan (CCJA) – un organe juridictionnel panafricain – que le groupe Bolloré était d’accord pour prendre la succession de Necotrans. Contacté par Challenges, le groupe Bolloré a répondu ne pas vouloir communiquer sur ce dossier.

Necotrans s’appuie également sur deux jugements fondés sur une résiliation irrégulière de sa concession: celui de la CCJA de mai 2014 qui a condamné la Guinée à verser 38,4 millions d’euros de dommages et intérêts à Necotrans avant d’annuler la sentence (voir plus bas). Et celui du tribunal d’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) rendu en août dernier. Le CIRDI a toutefois refusé de se déclarer compétent pour juger les conséquences de cette résiliation au motif que les parties avaient inclus dans le contrat de concession une clause renvoyant à la CCJA. Malgré ce refus, Necotrans, qui ne devrait pas faire appel du jugement du CIRDI, se veut confiant. « Nous nous sentons plus forts qu’en première instance car depuis 2013 la CCJA et le CIRDI ont jugé la résiliation illégale, c’est un fait acquis qui est entré dans l’ordre juridique français, souligne Cédric Fischer. Il faut maintenant que mon client soit dédommagé ».

« On est assez loin de l’Etat de droit »

Et cela pourrait prendre du temps. S’agissant de l’arrêt que rendra la Cour d’appel de Versailles, il y a fort à parier que les parties épuiseront toutes les voies de recours possibles et iront en cassation. Ce qui prolongerait d’au moins 18 mois la bataille juridique entre les deux groupes. Quant au litige entre Necotrans et la Guinée, les complications ne manquent pas. Par exemple: la CCJA a annulé en novembre 2015 la condamnation de la Guinée pour un motif non lié au fond du dossier (la multiplication par plus de sept des indemnités des arbitres) comme l’a annoncé Jeune Afrique. Mais entre-temps, le président du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris avait pris soin de rendre exécutoire le jugement en France. Necotrans peut donc demander à tout moment la saisie d’actifs de l’État guinéen sur le sol français.

Mais là encore rien n’est simple. « La loi Sapin 2 (votée en juin, Ndlr) qui accroît la protection des biens des États étrangers en France rend cette saisie beaucoup plus difficile, précise Cédric Fischer. Il nous faut maintenant recevoir l’autorisation d’un juge pour récupérer ces biens. On est assez loin de l’Etat de droit ». A ce jour Necotrans n’a pu récupérer sur ces 38 millions d’euros, auxquels s’ajoutent cinq millions d’intérêts, seulement 150.000 euros.  » Avec la loi Sapin 2, la France se tire une balle dans le pied car les sommes recouvrées seront assujetties à l’impôt sur les sociétés, ce qui rapporterait dans notre cas à l’Etat plus de 10 millions d’euros », poursuit Cédric Fischer.

Silence radio à l’Élysée

Mais l’État français ne semble guère disposer à se mouiller sur ce dossier. En 2011, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères d’un certain François Fillon avait jugé cette affaire « préoccupante » tout en ajoutant qu’il n’était « pas envisageable que les autorités guinéennes reviennent sur leur décision » dans une lettre adressée à Richard Talbot, le PDG de Necotrans à l’époque, que s’est procurée Challenges (voir ci-dessous).

Et depuis que François Hollande est à l’Élysée, c’est silence radio. L’ancienne conseillère Afrique du chef de l’État, Hélène Le Gal, aujourd’hui ambassadrice en Israël, a certes reçu la défense de Necotrans en 2014, une visite restée sans suite. Le successeur de Laurent Fabius au Quai d’Orsay, Jean-Marc Ayrault, a également été sollicité par Necotrans avant son voyage mi-novembre à Conakry. Mais le sujet n’a même pas été évoqué avec Alpha Condé comme l’a précisé à Challenges un conseiller du ministre qui l’accompagnait en Guinée. Un silence que d’aucuns interprètent comme la volonté de ne pas gêner un président que François Hollande connaît depuis une vingtaine d’années par le biais de l’Internationale socialiste et avec lequel il nourrit de très bonnes relations.

 

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